14-18: des ouvriers coloniaux dans une poudrerie en Bretagne
D’où venaient ces travailleurs coloniaux ?
Au départ, les autorités pensaient accueillir des Annamites (Vietnamiens, NDLR). Mais une délibération de février 1916 indique que «l’emploi de main d’œuvre annamite ne donnait pas satisfaction», sans plus de précision. Ce sont donc des «Kabyles» qui sont finalement venus.
C’est-à-dire ?
Les sources documentaires parlent de «Kabyles», mais aussi d’«Arabes» et de «Tunisiens». En fait, ces termes ne correspondent pas à des catégories géographiques particulières. Car parmi ces hommes, on trouve aussi des Noirs. Mais là encore, les documents n’apportent pas de précisions. On sait que 400 coloniaux ont été embauchés à la poudrerie, qui comptait alors quelque 5600 ouvriers.
Quelle a été la réaction de la population à la venue de ces hommes ?
Apparemment, il n’y a pas eu trop de réactions hostiles. Dans les documents, on ne sent pas le racisme qu’on remarque à l’arsenal de Rennes sur lequel j’ai également travaillé. Là, le dossier était plus complexe : la ville était plus importante, il y avait aussi le problème des réfugiés. La situation était donc plus difficile à contrôler. Les femmes disaient : «Que les "sidis" aillent sur le front et qu’on nous ramène nos maris».
A Pont-de-Buis, on a isolé les travailleurs coloniaux. Il s’agissait d’éviter les contacts et les malentendus avec la population locale. Un isolement facilité par la présence d’un contingent de gendarmerie, renforcé en 1916.
Comment vivaient ces travailleurs ?
Leurs conditions d’existence étaient très difficiles et précaires. Ils vivaient dans des baraquements sans confort et peu chauffés, avec des hivers très rigoureux. De plus, ils étaient étroitement surveillés et devaient rester cantonnés quand ils ne travaillaient pas. Ils n’avaient le droit de sortir qu’une seule fois par semaine.
Avaient-ils des problèmes de nourriture ?
De son côté, la population locale n’avait pas trop de difficulté à se nourrir car elle vivait en zone rurale, à l’inverse de ce qui se passait en ville. Il en allait apparemment de même pour les ouvriers coloniaux. Mais l’alimentation était peu adaptée à leur culture.
Ils ont fini par se mettre en grève…
Les rapports de surveillance de la poudrerie ont relevé plusieurs grèves, la première en 1917, jusqu’au départ de ces hommes en 1918. Des mouvements sur lesquels on a peu de précision. A priori, il n’y a pas eu de violences. Il faut dire qu’ils savaient qu’ils risquaient le peloton d’exécution.
En faisant grève, ces travailleurs coloniaux rejetaient aussi l’autorité de gradés qui les considéraient avec mépris.
Pour autant, la répression semble avoir été relativement clémente...
On les a sanctionnés en les mettant au pain sec et à l’eau. Certains sont passés en conseil de guerre et ont été emprisonnés. Mais ils n’ont pas été jugés de la même façon que les militaires. Les fauteurs de troubles ont été envoyés à Marseille, port par lequel ils étaient arrivés.
On ne se serait pas attendu à une telle attitude de la part des autorités en temps de guerre…
Il faut dire que celles-ci avaient besoin de cette main d’œuvre. Elles ne voulaient pas envenimer la situation au risque de la rendre incontrôlable.
On sait que craignant «l'éruption de troubles dans les colonies», le commandement français a pris «soin de ménager les particularités religieuses des soldats» coloniaux. Justement, votre livre évoque «une fête du ramadan le 25 juin 1917».
Un article de presse raconte effectivement l’organisation de festivités avec la population locale au moment du ramadan. Les Bretons ont sorti des binious, et les coloniaux des tam-tams et des tambourins. Selon le journal, la fête a été un très grand succès. Mais ce genre d’initiative était très ponctuelle : il s’agissait de tenter de réguler et de contrôler les relations entre les populations française et coloniale. On ne sent pas une volonté officielle sur le long terme.
«Poudre de guerre. Pont-de-Buis 1914-21918. Histoire d’une usine d’armement»
Ouvrage collectif. Edition Locus-Solus (17 €).
L’aventure industrielle, sociale et humaine, en temps de guerre, d’une poudrerie installée dans une commune du Finistère.
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