«Un bouclier» se met en place pour protéger les lanceurs d’alerte en Afrique
Les initiateurs de ce projet ont ratissé large. Ils ont fait appel à des professionnels de l’information, à des grands cabinets d’avocats et à des collectifs d’ONG pour mettre en place un véritable «bouclier» destiné à protéger les lanceurs d’alerte sur le continent africain.
Le collectif compte notamment en son sein le juge Baltazar Garzon, l’ancienne vedette des juges d’instruction espagnols qui avait obtenu brièvement la détention de l’ex-dictateur chilien Augusto Pinochet en 1998 à Londres.
A ses côtés, on retrouve l’avocat français William Bourdon, président-fondateur de Sherpa, une ONG qui défend les populations victimes de crimes économiques.
Ce projet, rassure-t-il, est d’une grande lucidité sur les difficultés qui s’annoncent.
«Ce bouclier ne pourra jamais être absolu, partout et tout le temps. Mais c’est une forme d’abri pour leur permettre de porter à la connaissance de l’opinion publique des faits quand ils estiment qu’ils sont vraiment contraires à l’intérêt général.»
Le site internet https://pplaaf.org détaille l’offre de service qui est proposée aux lanceurs d’alerte sur le continent. Ils ont désormais la possibilité de transmettre par une ligne sécurisée des documents sans possibilité de piratage.
«On s’est entouré des équipes de hackers les plus talentueux possible. Bien sûr que cela ne suffira pas à empêcher, à contenir, les tentatives de déstabilisation et de persécution qui frappent la société civile en Afrique. Mais c’est le continent où s’imposait cette nouvelle ONG qu’on dupliquera sans doute plus tard dans d’autres continents», observe William Bourdon.
Des pouvoirs répressifs de plus en plus autoritaires
Aujourd’hui, l’Afrique est le continent où les lanceurs d’alertes sont les moins protégés. C’est là qu’ils courent plus le risque d’êtres arrêtés ou poursuivis, reconnaît Alioune Tine, directeur du bureau d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre qui a salué cette grande aventure au service des citoyens africains.
«Les pouvoirs répressifs deviennent de plus en plus autoritaires, l’espace civique est de plus en plus surveillé. Les gens n’ont pas la possibilité de faire des manifestations. Elles sont souvent réprimées dans le sang. C’est des répressions très sévères. Même les journaux indépendants sont harcelés un peu partout en Afrique», explique-t-il à Géopolis.
William Bourdon est persuadé que ce projet deviendra l’allié naturel de tous les printemps africains. Et tout sera fait pour protéger ces citoyens qui veulent changer les choses.
«Ils sont pour moi à l’avant-garde d’une colère, d’une exaspération citoyenne qui court dans toute l’Afrique et dans le monde entier. Cette colère qui est sous-tendue par l’universalisation de l’intolérance croissante face à tous les mécanismes de corruption, face à toutes les duplicités, face au cynisme de certaines entreprises multinationales. En Afrique plus qu’ailleurs, les gens vivent dans leur chair, à la fois la confusion entre l’intérêt général manipulé au profit des intérêts privés et ce qui malheureusement en est la conséquence: de graves atteintes à l’état de droit et aux libertés publiques.»
«Faire en sorte de ne pas se laisser infiltrer»
Reste à savoir comment l’ONG compte s’y prendre pour éviter les aventuriers qui ont fait d’internet un lieu propice à tous les abus. On a parfois du mal à faire le tri entre les rumeurs, les calomnies et les informations sérieuses.
«C’est notre responsabilité de ne pas se laisser infiltrer, manipuler ou prendre en otage par des lanceurs d’alerte de mauvaise foi, par des stratégies qui viennent de l’obscurité pour nous discréditer… Il s’agit, pour ceux qui veulent rester anonymes, de pouvoir poster un certain nombre de documents sur le site. A charge pour nos équipes de les examiner, de les traiter, de vérifier la véracité des documents», explique William Bourdon à Géopolis.
Le lanceur d’alerte pourra joindre les équipes de la plateforme grâce à une hotline (une ligne téléphonique sécurisée) «pour avoir accès en temps réel à des conseils sur la stratégie la plus cohérente avec la situation dans laquelle il se trouve». Des garanties contractuelles sont prévues pour que l’anonymat soit respecté pour ceux qui le désirent, précise William Bourdon.
Le profil type du lanceur d’alerte
William Bourdon tient à éviter toute confusion autour de l’expression citoyenne. Pour lui, les mouvements citoyens qui ont vu le jour aux quatre coins de l’Afrique ne sont pas des lanceurs d’alerte, même s'ils partagent un fonds commun.
«Toute expression citoyenne n’est pas une expression de lanceur d’alerte, c’est évident. Le lanceur d’alerte est d’abord une démarche solitaire. C’est ça la caractéristique du lanceur d’alerte du 21e siècle. C’est une démarche personnelle d’un citoyen, parfois d’un homme très ordinaire, qui souhaite alerter l’opinion publique sur ce qu’il considère comme une grave menace à l’intérêt général. Alors évidemment, il y a un fonds commun avec une série d‘autres expressions citoyennes. Ce fonds commun c’est une exaspération par rapport à toutes les dérives despotiques qui ont cours en Afrique.»
William Bourdon rappelle qu’en Afrique, seuls 7 pays sur 54 ont adopté des lois de protection des lanceurs d’alerte. L’ONG qui leur tend les bras a installé son siège à Dakar, au Sénégal. Elle aura aussi des bureaux à Johannesburg et à Paris.
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