Cet article date de plus de sept ans.

La terre, une ressource vitale, inaccessible aux femmes africaines

Elles produisent 80% des denrées alimentaires destinées à la consommation des ménages, mais elles n’ont toujours pas le droit d’accéder à la terre. Les femmes africaines sont pénalisées par le droit coutumier omniprésent dans de nombreux pays du continent. Géopolis fait le point avec des acteurs de terrain.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Une Malienne plante des haricots dans une ferme le 22 janvier 2013. Elles sont des milliers à passer des heures à cultiver la terre sans pouvoir accéder à la propriété foncière. (Photo Reuters/Joe Penney )

La Côte d’Ivoire n’échappe pas à la règle. Dans ce pays, considéré comme le poumon économique de l’Afrique de l’Ouest, l’agriculture est, avant tout, une affaire de femmes.
 
«La productions des cultures vivrières est assurée à plus de 70% par les femmes en Côte d’Ivoire. Ce sont elles  qui nous nourrissent. Les hommes s’intéressent généralement aux cultures de rente comme le cacao, l’hévéa ou le palmier à huile», fait remarquer Gaston Naclan Touré. Il anime une association qui milite en faveur de l’accès des femmes ivoiriennes à la propriété foncière.

Gaston Touré explique à Géopolis le poids des traditions qui pèsent lourdement sur le domaine foncier.
 
«C’est un domaine sensible dans lequel il faut aller tout doucement. Parce que les terres ont toute une histoire. Elles appartiennent à la communauté. Bien avant qu’on ne soit une république, la communauté avait son mode de fonctionnement et son mode de vie. Avec des règles strictes.»
 
Victor Naclan Touré coordonne les activités d'une association ivoirienne qui travaille avec les acteurs du foncier rural. (Photo/Victor Naclan)

L’héritage aux garçons «pour protéger le patrimoine familial»
Pourquoi des règles qui excluent les femmes de l’héritage? Victor Touré explique qu'il fallait éviter que la terre qui est un patrimoine familial ne s’évapore après le mariage de la femme, obligée de rejoindre son conjoint.
 
«La femme quitte sa famille principale pour rejoindre celle de son époux, lequel pourrait chercher à exercer des droits dessus. Et pour éviter que cela ne se produise, les familles préfèrent léguer leurs terres aux garçons qui vont les protéger pour les générations futures.» 
 
Le droit coutumier est formel: «La femme n’a pas le droit de disposer de la terre, même s'il s’agit d’un héritage.» Pour certains chefs traditionnels, revendiquer un tel droit serait tout simplement une injure. De quoi susciter la colère des associations de femmes qui dénoncent une imposture.
 
«Dans la plupart de nos pays, les femmes sont plus nombreuses dans l’agriculture. Comment vont-elles continuer à produire pour nourrir la société et leurs familles si les terres sont des biens qui peuvent leur échapper à tout moment», s’interroge Cécile Ndjebet, présidente du Réseau des femmes africaines pour la gestion communautaire des forêts. Dans une interview à l’agence Sytfia Grands Lacs, elle estime qu’exclure la femme de la propriété foncière, «c’est exposer toute l’économie d’un pays».
 
Des textes de loi ignorés par le droit coutumier
Rares sont les pays africains qui arrivent à faire appliquer la loi qui régit le foncier rural. Sur le papier, elle accorde les mêmes droits aux hommes et aux femmes. Les choses se compliquent dès qu’il s’agit de l’appliquer. C’est le cas au Mali.
 
«Pour qu’une femme accède à une terre, il faut l’accord de son mari. Et ce qu’elle obtient en général, c’est un petit lopin, à côté du champ de son conjoint, quelques centaines de mètres carrés pour planter quelques légumes», explique à RFI Sana Wony Tieminta, une jeune juriste malienne qui a décidé de se lancer dans l’agriculture.
 
«Les choses ont évolué, rectifie Madame Bouaré Bintou Samaké, présidente de Wildaf/Mali, une association implantée dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et qui milite notamment en faveur de l’accès des femmes à la propriété foncière. «Aujourd’hui, des Maliennes occupent même des postes de chefs d’entreprises agricoles», confie-t-elle à Géopolis.
 
Mais elle reconnaît aussi que la terre étant une propriété collective qui se transmet de chef de famille à chef de famille, il est impossible pour une femme vivant en milieu rural au Mali de posséder des terres qu’elle peut exploiter à sa guise.
 
«Les terres n’appartiennent qu’aux hommes»
Dans un pays comme le Nigeria, les femmes représentent environ 60 à 80% de la main d’œuvre agricole. Pourtant, ce sont généralement les hommes qui prennent les décisions importantes concernant la gestion des exploitations, indique un rapport de la Banque mondiale.
 
«Les terres n’appartiennent qu’aux hommes. Les femmes peuvent seulement les cultiver. La loi coutumière les exclut totalement de la propriété foncière», se désole Théogène Sikiryamuva, interrogé par Géopolis. C’est le chargé de programme d’Uwaki, une association qui s’occupe des questions liées à la terre dans la province congolaise du Nord-Kivu.
 
Sensibiliser les chefs traditionnels
Tous les acteurs du foncier rural le reconnaissent, le combat pour l’accès des femmes africaines à la propriété foncière sera de longue haleine. 
 
«Il faut dire que la question est liée aussi à l’éducation, à la formation et à la sensibilisation des chefs traditionnels qui sont les garants de la tradition», note Gaston Naclan Touré. L’association qu’il anime en Côte d’Ivoire mène des actions pour leur faire comprendre que la loi garantit aux femmes l’accès à la terre, au même titre que les hommes. Qu’il n’y a pas lieu de les exclure pour des raisons de droit coutumier. Avec l’espoir que le message finira par être entendu.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.