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Zimbabwe: les vétérans, fer de lance de la chute de Mugabe

Les anciens combattants de la guerre d'indépendance du Zimbabwe ont longtemps effectué les basses besognes du président Robert Mugabe. Après des décennies d’absolue loyauté, face aux dérives de «Comrade Bob» et de son clan, ils lui ont retiré leur soutien. Et ont ainsi largement contribué à sa chute.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le leader de l'Association des vétérans de la guerre d'indépendance du Zimbabwe, Christopher Mutsvangwa, le 20 novembre 2017 à Harare. (JEKESAI NJIKIZANA / AFP)

Le régime de Robert Mugabe, qui a démissionné le 21 novembre 2017 après un règne de trente-sept ans, reposait sur trois piliers: la Zanu-PF (parti présidentiel), l'armée et les anciens combattants, qui l'ont longtemps vénéré comme un demi-dieu. Pendant la guerre de libération (1972-1979), Robert Mugabe a joué un rôle clef en dirigeant le mouvement depuis le Mozambique voisin. Mais depuis plus d'un an, le vent a clairement tourné et ses anciens compagnons de guérilla ont commencé à le lâcher.
           
En juillet 2016, ces derniers ont ainsi  publiquement dénoncé les «tendances dictatoriales» du président, au pouvoir depuis l'indépendance en 1980. Ils ont également annoncé qu'ils ne le soutiendraient pas à l'élection présidentielle prévue en 2018.

Leur déclaration, une première, a fait l'effet d'une bombe. Selon Takavafira Zhou, professeur de sciences politiques à l'université d'Etat de Masvingo (Zimbabwe), elle a marqué le «début de la fin» des liens entre «Comrade Bob» («camarade Bob») et ses hommes.
           
Le 15 novembre 2017, l'armée avait à peine pris le contrôle du pays que les anciens combattants appelaient à manifester pour soutenir les militaires et faire tomber leur chef devenu paria. Trois jours plus tard, les vétérans ont mobilisé des dizaines de milliers de personnes avec l'appui de l'opposition et de la société civile. Une manière de montrer qu'ils restaient des acteurs influents et respectés de la vie politique, près de quatre décennies après l'indépendance.


«Réveille-toi ! Tu as fait ton temps» («Smell the coffee, your time is gone»), a lancé le 21 novembre à Robert Mugabe le président de l’Association des vétérans de la guerre de libération nationale, Christopher Mutsvangwa. Ajoutant : «Nous voulons renverser la tyrannie de Robert Mugabe et de sa famille, pour que le Zimbabwe reparte d’un nouveau pied», avait-t-il ajouté.

Quelques heures plus tard, «Comrade Bob» jetait l'éponge.
           
«Notre relation avec Mugabe est irrémédiablement brisée», a déclaré à l'AFP le secrétaire général de la même association, Victor Matemadanda. «Nous étions mariés, mais les problèmes ont commencé et on a décidé de divorcer», résume-t-il.
           
La fin de l’état de Grace
Les relations entre Robert Mugabe et les vétérans ont commencé à se détériorer dès lors que la Première dame a affiché son ambition de succéder, le moment venu, à son époux. Dans sa course au pouvoir, Grace Mugabe, soutenue au sein de la Zanu-PF par le «G40», autrement dit la génération des moins de 40 ans, a commis l'erreur fatale de vouloir faire sortir de la partie les anciens combattants. Soudain relégués au second plan, ces derniers n'ont plus bénéficié des largesses du président.
 
«Comrade Bob» et «Gucci Grace» assistent à une réunion de la ZAnu-PF, le parti présidentiel, le 29 juin 2017 à Chinhoyi (nord du Zimbabwe). (REUTERS/Philimon Bulawayo)

Les vétérans reprochent aujourd'hui à Robert Mugabe et son épouse d'avoir trahi l'esprit de la lutte. Mais aussi de mener grand train, alors que nombre d'entre eux survivent aujourd'hui difficilement, victimes, comme le reste de la population, de l'effondrement de l'économie du pays.
           
«Gucci Grace», un des nombreux surnoms de Grace Mugabe, 41 ans de moins que son époux, a choqué nombre de ses concitoyens par son goût du luxe et ses extravagances. Le couple présidentiel s'est fait construire une villa extravagante dans la banlieue d'Harare, «Blue Roof» (Toit Bleu). Et l'un des fils de Mme Mugabe roulait en Rolls Royce quand l'Etat peinait à payer les fonctionnaires. «L'attitude du couple présidentiel a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase», a expliqué Victor Matemadanda. Dernière frasque en date de la First Lady : en août 2017, elle aurait frappé deux femmes dans un hôtel sud-africain. Une rocambolesque affaire qui avait pris «un tour diplomatique».

Le bras armé de Bob préfère le «crocodile»
Pendant de nombreuses années toutefois, les anciens combattants ont été le bras armé du régime. Ce fut le cas lors des violences électorales de 2008 ou, quelques années plus tôt, lors de la funeste réforme agraire qui a vu les fermiers de la minorité blanche brutalement expulsés de leurs terres.
Parfois ivres ou sous l'effet de drogues, des groupes d'anciens combattants, auxquels se sont joints de nombreux jeunes, ont alors chassé à grands coups de machettes ou de haches les agriculteurs de leurs propriétés, avec la bénédiction du président.
           
Des vétérans zimbabwéens s'emparent de l'exploitation d'un fermier blanc le 7 février 2002. (PHILLIPS FRED/SIPA)

Pour l'analyste indépendant Alois Masepe, les anciens combattants ont récemment «réalisé qu'ils avaient été utilisés comme des forces de frappe politiques de Mugabe et de la Zanu-PF». «Leur rôle était d'être du côté du peuple et d'être aussi neutres que possible. J'espère que cette prise de conscience persistera avec le nouveau dirigeant», ajoute-t-il.
 
Le successeur de Robert Mugabe, Emmerson Mnangagwa, encore un ancien de la guérilla, bénéficie de l'appui des vétérans. C’est d’ailleurs de ses années de lutte qu’il tire son surnom de «crocodile» en raison de son flair et de son habileté politiques. Lors de son discours d'investiture, le 24 novembre, le nouveau dirigeant a bien pris soin de les saluer.

Le secrétaire général de l’Association des vétérans, Victor Matemadanda, l'assure: «Nous voulons continuer à jouer le rôle de protecteurs de la révolution et être du côté du peuple». Des propos qui soutiennent le nouveau pouvoir. Mais sonnent aussi comme un avertissement…

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