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Soudan : l'Arabie saoudite et les Emirats craignent par-dessus tout le chaos

Ryad et Abou Dhabi, allergiques aux bouleversements politiques, se sont résignés à la chute du président soudanais Omar el-Béchir. Mais ils craignent une descente aux enfers du pays, qui déstabiliserait la Corne de l'Afrique et nuirait à leurs intérêts. Ils souhaitent avant tout que la stabilité revienne. 

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Des Soudanaises manifestent devant le ministère de la Défense à Khartoum, le 14 avril 2019. (REUTERS / UMIT BEKTAS / X90076)

"Ces dernières années, le Soudan est devenu plus important stratégiquement pour les Etats du Golfe. La chute de Béchir est donc par définition un moment charnière", souligne Elizabeth Dickinson, analyste à l'International Crisis Group (ICG). De son côté, Andreas Krieg, maître de conférence à l'Ecole des études de sécurité du King's College à Londres, abonde dans ce sens en faisant état d'une période "d'incertitude" pour les monarchies pétrolières.

Après plusieurs jours de silence, le royaume saoudien et son allié émirati ont réagi prudemment le 14 avril 2019, au nom de la "stabilité", au départ de Béchir qui a été écarté par l'armée soudanaise sous la pression de la rue. De son côté, le Qatar, qui a eu une certaine influence sur le régime de Béchir avant que celui-ci ne se rapproche de Ryad, observe un silence gêné : un grave différend l'oppose depuis près de deux ans à ses voisins saoudien et émirati. 

Dans des termes soigneusement choisis, l'Arabie saoudite et les Emirats ont dit leur "soutien au peuple soudanais". Ils ont exprimé l'espoir d'une "transition pacifique" et formulé de vagues promesses d'aide au pays qui s'enfonce chaque jour un peu plus dans un chaos économique. En clair, ils pratiquent l'attentisme.

Karim Bitar, de l'Institut de relations internationales et stratégiques, rappelle que "l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis sont par nature réfractaires à tout mouvement de révolte populaire". "Ce sont des puissances qui privilégient plutôt le statu quo. Elles craignent que toute effervescence et tout mouvement de protestation nationale ne finissent par faire tache d'huile et qu'il y ait un effet de contagion", explique-t-il à l'AFP.

"Changement inévitable"

Selon lui, "les Etats du Golfe regardent avec appréhension ce qui se passe au Soudan et vont faire tout leur possible pour que la transition se fasse dans la continuité, c'est-à-dire que le Soudan reste sous la coupe de l'armée". Ces Etats "ne veulent pas d'un transfert de pouvoir violent. Ils ne veulent pas d'une autre tragédie comme en Libye, Syrie ou Irak et le seul moyen est un transfert pacifique du pouvoir", souligne aussi Mustafa Alani, du Gulf Research Center. Ryad et Abou Dhabi sont arrivés à la conclusion qu'au Soudan, comme en Algérie, "le changement est devenu inévitable" et il vaut mieux, selon eux, que le processus soit supervisé par les militaires, ajoute-t-il.

L'Arabie saoudite et les Emirats sont allergiques aux bouleversements incontrôlés comme ceux qui ont plongé en 2011 la Libye dans le chaos ou abouti à la montée des Frères musulmans, leur "bête noire", en Egypte. Et, dans une moindre mesure, en Tunisie. Ils n'ont pas hésité à s'engager militairement au Yémen voisin lorsque la transition a dérapé et permis aux rebelles houthis, jugés proches de l'Iran, de s'emparer de larges portions du pays, dont la capitale Sanaa. Dans la guerre du Yémen, ils ont obtenu sur le terrain le soutien de l'armée soudanaise, décidé par le président déchu Omar el-Béchir, dans le cadre de la coalition militaire sous commandement saoudien intervenant dans ce pays depuis 2015.

Des désordres "pourraient déborder les frontières"

"Le Soudan touche à de nombreux intérêts vitaux des Etats du Golfe", souligne Elizabeth Dickinson, de l'ICG. "Il s'est révélé un allié clef pour l'Arabie saoudite contre l'influence iranienne dans la Corne de l'Afrique et Khartoum a fourni des troupes au Yémen". Khartoum est également "un acteur décisif dans un conflit entre l'Ethiopie et l'Egypte sur l'utilisation des eaux du Nil et pourrait constituer un élément pivot dans la future sécurité alimentaire dans le Golfe", ajoute l'analyste.

Selon elle, "l'un des objectifs des pays du Golfe est de maintenir la stabilité du Soudan, c'est-à-dire de préserver les institutions de l'Etat pendant la mise en œuvre des réformes et de la transition". "Nous ne sommes pas dans le Golfe de 2011 quand ces pays étaient complètement allergiques à toute transition", souligne Mme Dickinson. "Compte-tenu de la grande fragilité de l'ensemble de la région (...), une transition maîtrisée pourrait être la meilleure façon d'aller de l'avant", poursuit l'analyste.

Dans un communiqué publié le 12 avril, l'ICG a averti que si "le Soudan plonge dans le chaos, les désordres pourraient déborder les frontières". Les partenaires du pays "devraient intervenir rapidement pour persuader les autorités militaires à Khartoum de répondre à l'appel du peuple. Et de permettre une transition crédible (...) pour conduire le Soudan à une plus grande stabilité après l'échec du long et sanglant passage au pouvoir de Béchir".

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