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République Démocratique du Congo : un avocat raconte la terrible situation des condamnés à mort

L’association Ensemble contre la peine de mort (ECPM) a publié le 10 janvier 2020 un rapport sur la situation des condamnés à mort en République Démocratique du Congo (RDC) et les conditions de détention dans les prisons de ce pays. Un bilan à la fois terrible et effrayant…

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Dans la prison de Bukavu (est de la République Démocratique du Congo)... Photo prise le 5 mai 2006. (WOLFGANG LANGENSTRASSEN / DPA)

Plus de 500 personnes, femme et hommes, Congolais et étrangers, sont actuellement condamnées à mort en RDC, dont certaines l’ont été alors qu’elles étaient mineures. D’autres disent avoir été arrêtées pour des motifs futiles ou à la place d’une autre. Parfois, elles ignorent même avoir été condamnées à la peine capitale ! Le rapport de l’ONG Ensemble contre la peine de mort (ECPM), réalisé avec l’association congolaise Culture pour la paix et la justice (CPJ) et publié le 10 janvier 2020, est une plongée vertigineuse dans le système judiciaire et carcérale kafkaïen d’un pays à la situation géopolitique très complexe. Franceinfo Afrique a interviewé Me Liévin Ngondji, avocat à la cour d’appel de Kinshasa et président de CPJ, qui a dirigé une enquête dans 10 prisons de RDC. Une enquête au cours de laquelle ont été interrogés 257 condamnés à mort ainsi que dix gardiens et directeurs de prison, des familles de détenus…

Franceinfo Afrique : le rapport explique en préambule que "cette mission a été autorisée" par les autorités congolaises. Cela paraît assez surréaliste au vu de ce que vous décrivez…

Me Liévin Ngondji : il s’agit de la seconde mission que nous effectuons dans le cadre de la CPJ. La première remonte à 2005. Il est donc connu que je me bats pour l’abolition de la peine de mort. Pour cette enquête, j’ai alors demandé officiellement une autorisation qui m’a été accordée.

De leur côté, les autorités disent qu’elles font de leur mieux vis-à-vis des prisons et des condamnés à mort. Est-ce qu’elles le font réellement ? Je n’en sais rien. Est-ce que cela cache une sorte d’inconscience ? Je ne sais pas.

Comment le travail de votre équipe s’est-il déroulé ? N’avez-vous pas été menacés ?

Pas du tout. A partir du moment où nous montrions les autorisations des ministères de la Justice et de la Défense, tout le monde était au pas. Ils s’en foutaient. Ils ne pensaient pas que notre rapport serait aussi détaillé. Et aujourd’hui, je ne les sens pas choqués par la gravité de ce document. Moi-même, je ne comprends pas cette attitude !

Comment expliquer le nombre aussi important de condamnés à mort en RDC ? Par la situation sécuritaire très difficile du pays ?

Nous avons dénombré 510 condamnés à mort. Effectivement, la situation sécuritaire explique ces chiffres pharaoniques. Mais il faut aussi tenir compte des dysfonctionnements de l’institution judiciaire.

Un sous-officier congolais, attaché à un autre soldat, vient d'être condamné à la prison à vie pour viol par un tribunal militaire à Goma (est de la République Démocratique du Congo) le 17 novembre 2008. (ROBERTO SCHMIDT / AFP)
Grosso modo, on trouve trois types de condamnés à mort. Le gros de ces condamnés, environ 50%, sont des militaires et assimilés, rebelles et miliciens, dans un pays traversé par plusieurs mouvements insurrectionnels au Kasaï (entre 2016 et 2018), dans l’est du pays… Viennent ensuite un groupe (20%) constitué de brigands et de bandits venus de zones urbaines (Kinshasa…) et un dernier groupe (30%) comprenant différents criminels. Nombre de ces personnes se sont retrouvées dans cette situation sans que la justice ait respecté les règles de procès.

D’une manière plus générale, connaît-on le nombre de détenus en tous genres dans le pays ?

Non, on ne le connaît pas. Il n’y a pas de statistiques. Je pense qu’elles sont cachées.

Les exécutions de condamnés à mort sont-elles fréquentes ?

La dernière remonte au 7 janvier 2003. Depuis, la RDC connaît un moratoire en la matière. Mais des diplomates suisses, qui sont des gens sérieux, ont fait récemment état de rumeurs concernant une reprise de ces exécutions. Par ailleurs, il y a en Afrique des précédents comme en Gambie, pays qui a observé un moratoire, puis repris les mises à mort de condamnés. En RDC, les abolitionnistes resteront inquiets tant qu’il n’y aura pas d’engagement officiel pour supprimer la peine capitale.

Quel est le profil des personnes condamnées à mort ? Y a-t-il beaucoup de femmes ? On apprend que certains ont été condamnés alors qu’ils étaient mineurs…

Parmi eux, il n’y a qu’une seule femme. D’une manière générale, on trouve des personnes âgées (plus de 60 ans), des jeunes d’environ 20 ans. La moyenne de ces condamnés a entre 40 et 56 ans. On trouve aussi une vingtaine d’étrangers  Burundais, Ougandais, Tanzaniens, Rwandais. Il y a même un Belge d’origine rwandaise et un ou deux Erythréens. La plupart sont des rebelles.

Quelles sont les conditions de détention ?

Certaines prisons sont en bon état, comme celle de Luzumu (à 30 km de Kinshasa), réhabilitée avec des fonds de l’UE. Mais dans un centre de détention comme celui de Makala, à Kinshasa, où il n’y a pas d’argent, les conditions sont très, très difficiles. Elles sont inhumaines. On peut trouver jusqu’à 300 détenus dans une salle prévue pour 50 personnes. A tel point que l’air y est insuffisant. Je vous laisse deviner comment les gens dorment, mangent. La mortalité y est très forte. Dans l’une des deux prisons de Kinshasa, qui comprend quelque 8 000 détenus, on compte 25 personnes mortes de faim et de maladie pour le seul mois de janvier 2020.

Il y a aussi les centres de détention très éloignés, comme celui d’Augenga, qui se trouve en pleine forêt, à plus de 500 km de la capitale. Les détenus sont transportés là-bas à l’insu de leurs familles. Ils se retrouvent ainsi éloignés de tout. De plus, à Augenga, il n’y a pas de médecins, pas d’infirmerie. On laisse les gens mourir à petit feu.

Justement, votre rapport raconte "le sentiment d’abandon des détenus". Il raconte aussi que certaines personnes ont appris, avec votre équipe, "qu’elles étaient considérées comme condamnées à mort". Là encore, cela semble surréaliste…

Dans la prison de Bukavu (est de la RDC), le 5 mai 2006 (WOLFGANG LANGENSTRASSEN / DPA)
Les gens sont jugés en délibéré. Ils sont ensuite transférés dans des prisons comme Augenga. Les jugements sont donc prononcés à leur insu. Conséquence : les délais de recours sont vite dépassés. Certains ont fait appel. Mais ils ont été déplacés sans être jugés. On ne peut que constater les négligences et les défaillances du système judiciaire. On est là dans l’arbitraire.

D’une manière générale, que vous inspire cette situation ?

J’ai le sentiment qu’en RDC, nous sommes dépassés par l’ampleur du pays, l’importance de sa population, ses challenges. Chacun fait ce qui lui passe par la tête. Il n’y a personne pour dire : qu’est-ce qui se passe dans le système judiciaire ? Il y a donc des efforts à faire pour qu’il y ait une certaine coordination au niveau du pouvoir.

Le problème de la peine de mort l’illustre très bien. Le 10 octobre 2019, le vice-ministre de la Justice a annoncé son abolition dans le projet de nouveau code pénal congolais. Mais deux mois plus tard, le 10 décembre, à la sortie de notre rapport, son directeur de cabinet a annoncé que ce ne serait pas le cas parce que dans l’est de la RDC, des personnes continuent à être massacrées par un mouvement terroriste. Ce directeur de cabinet est quand même le plus proche collaborateur du vice-ministre ! Dans ce pays, on fait deux pas en avant, puis deux pas en arrière. C’est comme ça !

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