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Libye: le maréchal Haftar à la conquête de Derna pour se refaire une santé
Même si le mystère de son hospitalisation à Paris reste entier, le maréchal Haftar cherche à conforter son image d’homme fort de Cyrénaïque. A peine rentré, le patron de l’Armée nationale libyenne a relancé l’offensive contre Derna, la dernière ville sous contrôle djihadiste dans son fief de l’Est. Une démonstration de force qui ne fait toutefois que renforcer la détermination des islamistes.
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Agé de 75 ans et connu sous le désormais classique titre d’«homme fort de l’Est-libyen», le maréchal Khalifa Haftar est rentré au pays le 26 avril 2018, après deux semaines d’hospitalisation à Paris, dans la plus grande discrétion.
«L'heure zéro pour la libération de Derna»
Donné pour mort par les multiples rumeurs, ou en tout cas dans l’incapacité de revenir aux affaires, il a été accueilli en grande pompe par les gradés de son armée, l’Armée nationale libyenne (ANL), sur le tarmac de l’aéroport de Benghazi.
Occasion pour lui, apparu souriant et vêtu d’un costume-cravate de couleur noire, de démentir les rumeurs et d’assurer ses partisans qu’il était «en bonne santé».
Quatre jour plus tard, le 7 mai, il faisait une nouvelle apparition, en tenue militaire cette fois-ci, pour assister au défilé commémorant le quatrième anniversaire du lancement de son opération anti-djihadistes.
Baptisée «dignité», elle lui avait permis de reconquérir la ville de Benghazi, tombée en 2014 aux mains des islamistes.
Au cours de ce défilé de milliers de soldats et d’avions de chasse, le chef de l’ANL a annoncé le lancement d’une nouvelle opération pour prouver à la fois qu’il était en pleine forme et toujours maître du terrain en Cyrénaïque.
Une coalition hétéroclite d'islamistes anti-Haftar et anti-EI
«Je vous annonce que l’heure zéro pour la libération de Derna a sonné et que vos forces sont en ce moment en train de pilonner les bastions du terrorisme qui s’y trouvent, après que nous avons donné des directives fermes d’épargner les civils», a-t-il déclaré.
«Les trois années de négociations pacifistes avec les sages de la ville et de jeunes activistes, pour leur épargner les affres de la guerre, ont abouti à une impasse en raison de l’entêtement des groupes terroristes opposés à la paix», a-t-il expliqué pour justifier la reprise des opérations militaires.
Située à mille kilomètres à l’est de Tripoli et peuplée de quelque 150.000 habitants, la ville côtière de Derna est toujours sous le contrôle du «Conseil de la choura des Moudjahidines de Derna». Une coalition hétéroclite de milices djihadistes proches d’Al-Qaïda et hostiles à la fois au maréchal Haftar et à l’organisation Etat islamique (EI) évincée de la ville en 2015.
Neutraliser les manœuvres de successions
Soutenu par l’Egypte et les Emirats arabes unis, le patron de l’ANL, qui contrôle la majeure partie des champs pétroliers libyens et les quatre terminaux d’exportation du brut, entend également donner un coup d’arrêt aux manœuvres de succession déclenchées par les rumeurs sur son état de santé.
Des manœuvres y compris dans son propre camp, illustrées notamment par un attentat à la voiture piégée, le 18 avril, contre Abdulrazzak al-Nazuri, le chef d’état-major de l’ANL, qui s’en est sorti miraculeusement.
Selon Federica Saini Fasanotti de la Brookings Institution à Washington citée par l’AFP, «apparaître comme le sauveur de Derna confèrerait à Haftar une nouvelle image aux yeux du monde».
Mais «une opération militaire ne suffira jamais à rétablir la paix en Libye (...), même si en termes stratégiques, c'est le meilleur moment pour agir afin de rassurer son clan et montrer à ses ennemis qu'il est plus fort que jamais en dépit de son état de santé», a-t-elle ajouté.
Une victoire de l’ANL à Derna ne suffira pas non plus à lever les incertitudes qui pèsent sur les ambitions nationales du maréchal et sa volonté de rassembler l’institution militaire libyenne sous son commandement.
Accusé d’incarner «un courant militariste et autoritaire avec lequel les Nations Unies et les capitales européennes ont dû composer», ses relations se sont dégradées ces derniers mois avec Aguila Saleh. Président du Parlement élu en juin 2014, ce dernier, exilé à Tobrouk après les affrontements entre l’ANL et le bloc militaire de la Tripolitaine, était jusque là un de ses soutiens indéfectibles.
Un black-out délibéré sur l'état de santé de Haftar
Pour l’heure, une seule explication a percé sur le black-out entretenu par son entourage sur son état de santé et son hospitalisation.
«Il voulait laisser le tableau s’éclaircir afin de voir qui était fort et qui était faible» dans son propre camp a confié un de ses proches à Frédéric Bobin du journal Le monde.
Un éclaircissement qui ne mettra pas l’homme fort de l’Est à l’abri des attaques des islamistes qui voient dans le conquistador de Benghazi «une menace existentielle qui doit être combattue à tout prix».
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