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Libye: des écrivains et des éditeurs menacés de mort pour «obscénité»
En Libye, même la fenêtre de la littérature est en train de se refermer devant les jeunes générations d’écrivains et de lecteurs. La présentation dans la ville d’al-Zawiya d’une anthologie comportant quelques passages érotiques a provoqué un déluge de messages de haine et d’appels au meurtre des auteurs. Les autorités n’ont pas réagi estimant que le livre était une atteinte à la moralité publique.
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Sous le titre Du soleil sur des fenêtres fermées, une anthologie de plus de cinq cents pages réunissant des textes de quelque 25 jeunes auteurs et auteures libyens a été présentée le 26 août 2017 à la bibliothèque municipale de la ville d’al-Zawiya, au nord-ouest de la Libye.
Un déluge d'insultes et d'appels au meurtre sur les réseaux sociaux
Dès le lendemain, en raison de quelques lignes jugées trop érotiques, l’ouvrage est devenu sujet à scandale entraînant un déluge d’insultes, de messages haineux et d’appel sur Facebook et Twitter à brûler et tuer les éditeurs et contributeurs du livre en question.
Publiée en mai 2017 en arabe par la maison d’édition Darf Publishers, basée à Londres depuis 1980, cette anthologie avait pourtant été présentée au Caire puis à Tripoli et Benghazi où elle avait reçu un accueil très favorable.
Mais le passage d’une nouvelle d’Ahmad al-Bokhari jugé trop obscène par un groupe islamiste influent à al-Zawiya a mis le feu aux poudres. L’auteur y décrit une scène d’amour, reproduite et diffusée sur les réseaux sociaux, entraînant aussitôt des représailles.
Le groupe islamiste a arrêté les organisateurs de la manifestation pour les relâcher le lendemain. Il a également fermé la bibliothèque municipale pour prévenir d’autres événements littéraires du même genre.
Laïla Moghrabi et Khaled Mattawa dans le collimateur des islamistes
Principales personnes ciblées, les deux coéditeurs de l’ouvrage. Laïla Moghrabi, écrivaine et journaliste libyenne, vivant à Tripoli et ayant travaillé pour plusieurs publications locales et internationales.
Auteure de plusieurs recueils de nouvelles, elle a annoncé son intention de quitter provisoirement le pays. «Je cherche à séjourner dans un pays où je pourrai trouver une protection pour moi et ma famille en attendant que les choses s’éclaircissent», a-t-elle déclaré dans un entretien au Nouvel Observateur.
Fears for safety of Laïla Moghrabi and Khaled Mattawa writers and editors in Zawya #Libya https://t.co/Hz6n967zaU https://t.co/JsGIm0XPjb pic.twitter.com/vVWR903HDR
— Libya_2morrow (@Libya_2morrow) September 6, 2017
L’autre membre du tandem est Khaled Mattawa détenteur de la double nationalité libyenne et américaine. Poète, critique littéraire, traducteur et professeur à l’Université de Michigan, il était rentré au moment de la révolution, après 30 ans d’absence, pour participer au renouveau de son pays.
Dans le collimateur des islamistes également, les femmes contributrices à l’anthologie et, évidemment, Ahmad al-Bokhari, l’auteur de la nouvelle incriminée.
Ainsi désignées à la vindicte publique, toutes ces personnes ne peuvent en tout cas pas compter sur une protection des autorités. Ces dernières, ministère de la Culture en tête, ont condamné le livre pour atteinte «à la moralité publique».
«Défendre le droit des écrivains à écrire et des lecteurs à lire»
Le ministre a même condamné un texte publié à l’étranger n’ayant pas transité par la censure, alors que cette même nouvelle avait été publiée en Libye en 2012, après approbation par le ministère.
Révélée par le site Pen International pour la défense de liberté d’expression, l’affaire inquiète les écrivains et éditeurs contraints désormais de vivre cacher ou de se réfugier dans leurs familles.
«Par leurs actions et déclarations, les autorités libyennes sabordent la liberté d’expression», a déclaré Salil Tripathi, le président du Comité des écrivains en prison de Pen International.
Pour lui, les autorités devraient «prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la vie et la sécurité des écrivains, éditeurs et tous ceux impliqués dans ce livre. Elles doivent également enquêter et poursuivre ceux qui les menacent pour défendre le droit des écrivains à écrire et celui des lecteurs de lire.»
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