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Il y a 24 ans, l’Afrique du Sud au bord de la guerre civile

La justice sud-africaine a décidé, le 18 août 2017, de bloquer la libération de l'assassin de Chris Hani, très populaire leader de la branche armée de l'ANC, abattu le 10 avril 1993 dans une période très troublée par les violences post-apartheid. Sa mort avait entraîné de violentes émeutes dans les townships et conduit le pays au bord de la guerre civile raciale.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Chris Hani, secrétaire général du PC sud-africain, le 8 décembre 1991. Sa mort a entraîné de violentes émeutes dans les townships du pays. (AFP - WALTER DHLADHLA)

Un immigrant polonais d’extrême droite, Janusz Walus, avait été condamné à mort pour cet assassinat. Mais le nouveau régime ayant aboli la peine capitale en 1994, sa peine avait été commuée en réclusion criminelle à perpétuité. En 2016, la Haute Cour avait décidé sa libération, une décision critiquée par le Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir et ancien fer de lance de la lutte contre l'apartheid.
 
La Cour suprême, saisie par le gouvernement, a finalement cassé ce jugement le 18 août.
           
Au moment du meurtre, Janusz Walus, connu pour ses idées anti-communistes, était en lien avec Clive Derby-Lewis, ancien membre du Parti conservateur. Ce dernier lui avait fourni l’arme du crime. Avec l’épouse de Derby-Lewis, les deux complices avaient constitué une liste où figuraient les principaux dirigeants de la lutte anti-apartheid, au premier rang desquels Nelson Mandela.

Objectif des conjurés, selon la fameuse Commission vérité et réconciliation, présidé par Desmond Tutu: «Créer une situation dans laquelle les radicaux qui soutenaient Hani répandraient chaos et destructions à la suite de sa mort». Ce qui faciliterait l’unité des leaders de la droite blanche et de l’armée, permettant ainsi de lancer une «contre-révolution» et de renverser le gouvernement post-apartheid. Chris Hani est abattu le 10 avril 1993 dans le garage de sa maison, dans une banlieue de Johannesbourg. «Rares sont les sujets qui provoquent (aujourd’hui encore) autant d’émotion que l’assassinat de Chris Hani», observe le journal en ligne dailymavericlk.co.za.

Au moment de sa mort, Chris Hani est secrétaire général du Parti communiste sud-africain (SACP), et l'un des hauts dirigeants de la branche armée de l'ANC, l’Umkhonto we Sizwze (Fer de lance).
           
«Che Guevara sud-africain» ou «agitateur communiste» ?
L’émotion est alors d’autant plus vive que Chris Hani (qui reste, aujourd’hui encore, une figure historique marquante) est l’une des personnalités les plus populaires au sein de la communauté noire. Né en 1942, il a adhéré à 15 ans aux jeunesses de l’ANC (African National Congress), le parti de Mandela. En 1963, il entre dans la clandestinité avant de se rendre en URSS. Il revient en 1967 en Afrique et participe à la guerre de Rhodésie (aujourd’hui Zimbabwe). En 1974, il retourne clandestinement en Afrique du Sud. A partir de 1991, il devient secrétaire général du SACP.

Le président de l'ANC, Nelson Mandela, réconforte Limpho, veuve de Chris Hani, le 18 avril 1993. (AFP - WALTER DHLADHLA)

Ses adversaires blancs le présentaient comme un «agitateur communiste qui allait repousser tous les Blancs à la mer», a raconté à la Deutsche Welle le journaliste sud-africain Beauregard Tromp, auteur d’une biographie sur le leader communiste. «Mais les gens ne se sont pas rendus compte à l'époque que Chris Hani était pour la conciliation. Il voyait son rôle comme un conciliateur même s'il devait souvent jouer le rôle de l'homme dur. C'était nécessaire pour faire bouger les négociations avec le Parti nationaliste du gouvernement d'apartheid qui était très réticent et récalcitrant», explique-t-il. Partisan d'un dialogue avec le pouvoir blanc, il a aidé Nelson Mandela à vaincre les réticences des militants de l'ANC.

L’annonce de l’assassinat provoque des émeutes dans les townships. D’une manière générale, la mort de Chris Hani intervient au pire moment. Les tensions sont à leur comble dans le pays. Certes, depuis 1990, l’ANC a cessé les actions armées, les exilés sont de retour. Mais la lutte entre partisans et adversaires de l'apartheid fait rage : elle aurait entraîné la mort de 14.000 personnes entre 1990 et 1994, selon les chiffres du Musée de l’apartheid à Johannesburg.

Discours de Mandela
Et ce alors que Nelson Mandela, libéré en 1990 après 27 ans de prison, est en train de négocier avec le pouvoir blanc et le président Frédérik de Klerk les conditions des élections de 1994. Mais les discussions risquent à tout moment d’échouer. Comme le raconte l’ancien correspondant du Los Angeles Times à Pretoria, Scott Kraft, «nombre de Sud-Africains - noirs comme blancs - ne souhaitaient pas (que les représentants des deux communautés parviennent) à un compromis. (…) Mandela et de Klerk échangeaient des propos acides en public et, pendant de longues périodes, ne se rencontraient pas en privé».

Au moment de la mort de Hani, la tension est telle que le leader de l'ANC intervient à deux reprises à la télévision en trois jours.

Le 10 avril, le jour même du décès, il demande que «cessent les tueries». Ajoutant que «Chris Hani avait défendu le cause de la paix» et appelé «à l’esprit de tolérance».


Trois jours plus tard, il évoque «une tragédie nationale, qui a touché des millions de personnes, au-delà des divisions politiques et de couleur». Paraphrasant Lincoln, il explique que «la seule solution durable pour notre peuple : un gouvernement élu du peuple, par le peuple et pour le peuple».

Ces discours contribuent à faire retomber les tensions. Six mois plus tard, le pays se dote d’une constitution provisoire. Ce qui ouvre la voie aux premières élections libres et multiraciales en avril 1994. Et l’accession, pour la première fois, au pouvoir en Afrique du Sud d’un Noir, Nelson Mandela. 

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