Congo-Brazzaville : quand l'Etat doit des milliards...
Au Congo-Brazzaville, de nombreux entrepreneurs se plaignent des impayés de l'Etat dans un pays surendetté qui vient de conclure un accord avec le Fonds monétaire international (FMI). Un accord qui est, pour l'instant, une bouée de sauvetage pour les autorités locales. Mais risquent de les obliger à modifier nombre de comportements...
Le Congo a passé le 11 juillet 2019 un accord avec le Fonds monétaire international (FMI). Dans ce contexte, contraint à la transparence par l'organisation financière, le gouvernement a dû se résoudre à évaluer sa dette envers les entreprises publiques et privées à 1719 milliards de FCFA (2,6 milliards d'euros). Soit 30% du total de l'endettement (8,5 milliards d'euros) de ce pays pétrolier d'Afrique centrale (le pétrole représente 4/5e de ses ressources). Lequel pays s'est retrouvé à cours d'argent quand le baril a chuté de 100 à 50 dollars entre 2014 et 2015.
Les négociations entre les deux parties ont été "ralenties par le fait que les autorités du Congo-Brazzaville avaient caché une partie de (leur) dette publique (...). Celle-ci s'établissait à près de 120 % du PIB (...) et non 77 %, selon des révélations à l'époque de Radio France Internationale (RFI)", rapporte Le Point.
Dans le même temps, "les entreprises congolaises depuis 2002 subissent le non-paiement de leurs créances malgré le boom pétrolier", affirme le président de l'Union nationale des opérateurs économiques du Congo (Unoc), El Hadj Abdoulaye Djibril Bopaka. Sans parler des arriérés de pensions, des retards de salaires et des impayés de bourse, comme le souligne Mediapart...
Bon nombre d'entreprises ont dû licencier ou fermer leurs portes, ajoute le responsable d'une des organisations patronales congolaises.
Le résultat est visible dans les rues de Brazzaville, avec plusieurs chantiers à l'arrêt. Le plus emblématique est celui du nouveau bâtiment qui devait abriter le ministère de l'Intérieur, place de la République. Les grues ne fonctionnent plus depuis 2016, se souvient un connaisseur du dossier. Un panneau indique le nom du concessionnaire : San José. En l'occurrence une entreprise espagnole qui annonçait sur son site internet un contrat de 58,48 millions d'euros au moment de l'adjudication en 2013.
Le cahier des charges prévoyait deux majestueuses tours de neuf et dix étages Surface totale : 44 000 m². Les deux tours sont bien sorties de terre. Mais restent inachevées.
Les chantiers chinois épargnés
Dans ce contexte, le président Denis Sassou Nguesso a dû demander au gouvernement une "évaluation précise de la dette intérieure", pour "procéder à sa liquidation" . Et ce "dès que les circonstances le permettront"...
Pour autant, étonnamment, une autre évidence saute à l'œil nu dans les rues de Brazzaville : les chantiers chinois, eux, ne connaissent pas la crise. C'est ainsi le cas du futur Parlement de l'autre côté de la place de la République. Lequel est présenté comme une "aide de la Chine". Lancé en 2017, le chantier doit être livré fin 2019 pour quelque 50 millions d'euros. C'est encore le cas des tours jumelles de Mpila, le futur centre d'affaires au bord du fleuve Congo lancé en 2015 par la Beijing Construction Engineering Group (BCEG). Des grands chantiers ont été déjà été livrés malgré la crise, comme le siège de la Banque sino-congolaise pour l'Afrique (BSCA), inauguré en avril 2018.
Motif : les entreprises chinoises ne sont pas payées directement par le Trésor public congolais. Elles passent par un canal de financement direct, en l'occurrencee la Banque Export-Import (Exim Bank of China). Mais en fait, ces grands travaux chinois représentent le premier poste de la dette congolaise. La dette du Congo envers Exim Bank of China s'élève ainsi à 1,36 milliard de francs CFA (deux milliards d'euros) et la dette bilatérale avec l'Etat chinois est de 1,4 milliard d'euros.
Une restructuration de la dette chinoise a été nécessaire avant que le FMI n'accepte de débloquer 448,6 millions de dollars de crédit sur trois ans pour aider Brazzaville. "Il était impératif que le Congo obtienne (...) un allégement de la dette auprès de ses principaux créanciers, particulièrement de la Chine", son plus gros créancier, précise le chef de mission du FMI à Brazzaville, Alex Segura-Ubiergo, sur le site de l'institution. "Un préalable que Pékin a accepté en se ralliant pour la première fois à une solution du FMI", souligne Le Point.
Corruption
Pour le président de l'Unoc, le problème est plus large. "Le gouvernement reste pléthorique avec des gens qui sont soupçonnés par le peuple congolais de mauvaise gouvernance et de détournement de fonds publics", avance El Hadj Abdoulaye Djibril Bopaka.
Ce n'est donc pas un hasard si le FMI a également demandé au Congo-Brazzaville d'améliorer sa gouvernance. Cela pourrait passer par une réduction du nombre de ministres (actuellement une trentaine). Le programme du Fonds "vise (...) à améliorer la gouvernance (y compris la gestion des finances publiques) afin de promouvoir un usage plus efficient des ressources publiques et à protéger les groupes vulnérables de la charge de l’ajustement", annonce le site du FMI. "Protéger les groupes vulnérables de la charge de l'ajustement" ? En clair : les groupes sociaux les plus vulnérables qu'il faut mettre à l'abri des conséquences des réformes...
Autre problème auquel le Congo va devoir s'attaquer, celui de la corruption. Ce problème "est au cœur de la vie politique et économique du pays", confirme Le Monde. Le quotidien décrit ainsi les mécanismes permettant de placer l'argent du pétrole dans les paradis fiscaux... Par ailleurs, "la justice française cherche depuis 2010 à faire la lumière sur le patrimoine du président congolais (...) et de sa famille". "Les autorités ont appliqué un programme ambitieux de réformes visant à améliorer la gouvernance. D’autres réformes s'imposeront en vue de renforcer l’Etat de droit et le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux (...) et de mettre sur pied la nouvelle haute autorité de lutte contre la corruption", souligne le FMI. Le plus dur reste peut-être à faire...
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