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Xavier Muntz : «Nous n'en avons pas fini avec Boko Haram»

Xavier Muntz, auteur de «Boko Haram: les origines du mal», retrace dans son documentaire la dérive sanglante du mouvement islamiste fondé en 2002 par le prédicateur Mohamad Yusuf. Un lent glissement vers la terreur nourrie par les exactions de l'armée nigériane. Le film nous permet de mieux comprendre l'origine et la persistance du mouvement, malgré l'engagement des armées de la région.
Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
Soldats nigérians en opération dans un village pillé par Boko Haram (Etat de Borno, 29 mars 2016). (AFP/Anadolu Agency)

Vous étiez dans le nord du Nigeria en avril 2016. Quelle est la situation militaire?
L’armée nigériane, mal équipée et mal organisée, tient seulement les grandes villes et les camps de déplacés. Elle ne s'aventure pas dans la forêt de Sambisa, grande comme la France, toujours aux mains des rebelles. L’armée nigériane c’est à peine 90.000 soldats et quelques avions, très peu pour un pays de 100 millions d’habitants. Les militaires ne le disent jamais, mais ils subissent des pertes élevées. Seule l’armée tchadienne, sorte de rouleau compresseur, a obtenu ces derniers temps des résultats militaires dans la région du lac Tchad. On assiste aujourd’hui à une lutte pour la direction du mouvement qui oppose le chef militaire Abubakar shekau, au fils de Mohamad Yusuf.

Pourquoi le Nigeria, première puissance économique de l’Afrique, n’arrive-t-elle pas à défaire le groupe Boko Haram?
Quand on voit le niveau d’incompétence de l’armée nigériane, on comprend qu’un groupe déterminé comme Boko Haram puisse résister aux armées de la région. L’armée, comme l’ensemble du pays, est minée par la corruption, c’est un problème endémique. On a appris récemment que le conseiller de l’ancien président Jonathan pour la sécurité nationale, le colonel Dazuki, aurait détourné 2 milliards de dollars destinés à combattre Boko Haram. Le colonel aurait passé des commandes fictives d’avions et d’hélicoptères de combat.

Qu'est ce qui explique le soutien populaire de Boko Haram?
La pauvreté, les inégalités avec le sud du pays, entretiennent un vivier favorable au recrutement dans les rangs du mouvement. Au départ, cette secte islamiste de tendance soufie veut pouvoir vivre ses traditions et s’oppose à «la culture occidentale corrompue», ce que signifie Boko haram. Au départ, c’est un mouvement plutôt pacifique, mais les prêches de Mohamad Yusuf rencontrent un tel succès que cela va finir par inquiéter les autorités. La répression aveugle décidée par l’armée ne fera que pousser la population vers Boko Haram. Cette idéologie imprégnée par le salafisme et la charia revendique ses propres lois et nécessite une sorte de séparation. Cette idéologie n'est pas soluble à terme dans la démocratie, même très imparfaite du Nigeria.

Votre film est riche en archives, où les avez-vous trouvées?
Les prêches du fondateur de Boko Haram ont longtemps circulé dans l’état de Borno, où l’on trouve encore des vidéo dans les arrières boutiques des magasins. J’ai pu visionner également les nombreux documents d’Amnesty international. Leurs correspondants dans les villages filment depuis des années avec de simples téléphones portables, les exactions de l’armée et de Boko Haram.  

Comment avez-vous travaillé dans une région aussi difficile?
Quatre mois pour une autorisation de tournage, obtenue en approchant le président Nigerian à son hôtel lors de son passage à Paris. Malgré le feu vert du président Buhari, il a fallu encore 4 mois pour obtenir une autorisation militaire. J’ai d’abord voulu contourner l’armée, mais ils m’ont vite renvoyé dans la capitale. Puis je suis retourné au Nord à Maiduguri, où j’ai pu échapper quelques jours aux militaires, ils pensaient que j’étais à l’hôtel alors que j’étais en train de tourner. Il est très difficile de faire son métier dans cette région du monde. Il faut être prudent et  discret, ne pas manger dehors, changer d’hôtel très souvent, sortir de sa voiture uniquement pour filmer. Toujours avoir peur, la peur c’est notre dernier gilet pare-balles.

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