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Nigeria : «ogogoro», le whisky du pauvre qui fait des ravages
C’est un alcool local très prisé dans le sud du Nigeria. Connu sous le nom de «ogogoro», cette boisson est devenue incontournable dans les fêtes : «Elle booste l’énergie, la productivité et la libido», affirment ses admirateurs. Pour les autorités, «c’est le tord-boyaux qui tue». Plusieurs Etats nigérians cherchent désormais à en finir avec cet alcool qui fait des ravages dans le sud du pays.
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«Rien n’égale les sensations qu’elle vous procure pour tout juste 20 nairas (un centime d’euro)... Elle booste l’énergie, la productivité et la libido.» Ainsi s’exprime Wasiu Adegbite, un mécanicien nigérian de 32 ans, bon connaisseur de cette eau-de-vie à base de mélasse de canne à sucre distillée. Interrogé par l’AFP, il estime que vouloir l’interdire est tout simplement une perte de temps.
Le «tord-boyau qui tue»
«Ogogoro», une sorte de gin de fabrication artisanale avec une forte dose de méthanol, est dans le collimateur des autorités nigérianes qui le considèrent comme le «tord-boyau qui tue». Elles tentent d’en interdire la production et la consommation après la vague de décès provoqués par ce whisky du pauvre.
En avril 2015 dans l’Etat d’Ondo, 23 personnes ont trouvé la mort après en avoir consommé. En juin 2015, dans l’Etat de Rivers, 40 personnes ont succombé dans les 24 heures. «Beaucoup d’entre elles étaient devenues aveugles. Cette boisson est mauvaise pour le foie, le cerveau, le système nerveux et le cœur. Elle provoque des démences et des maladies cardiovasculaires», a déclaré le commissaire à la Santé de l’Erat d’Ondo à l'AFP.
Trop c’est trop, estiment les autorités. Elles cherchent désormais à en finir avec cet alcool interdit sous la colonisation britannique puis légalisé après l’indépendance en 1960. Plusieurs Etats nigérians ont déclaré illégales la production et la consommation d’ogogoro dont la teneur en alcool tourne entre 30 et 60 degrés. Mais les fabricants du précieux liquide font de la résistance. Ils peuvent même bénéficier de complicités au sein de la police. «Des policiers viennent ici pour récupérer la boisson. On leur paie un verre et ils s’en vont», déclare John, un jeune fabricant de 22 ans qui a abandonné l’école pour cette activité dans l’Etat de Lagos.
Facile à fabriquer et à commercialiser
John explique que cet alcool est très facile à fabriquer. «On trouve facilement de la mélasse. On y ajoute du sucre et on laisse fermenter au moins une semaine. Puis le tout est versé dans un grand récipient qui peut contenir jusqu’à 8.000 litres et que l’on chauffe au feu de bois… On laisse la vapeur refroidir et, en une demi-heure, on en tire de quoi remplir un bidon de 200 litres.»
Après la distillation, l’ogogoro est vendu en vrac à des sociétés qui le conditionnent puis le revendent au public. Les producteurs locaux ne comprennent pas pourquoi les autorités dénigrent leur activité : «Le gouvernement encourage les produits locaux mais décourage la production d’ogogoro. Nous sommes en pleine contradiction», déplorent-t-ils, en accusant leurs détracteurs de faire la propagande des boissons fabriquées à l’étranger.
Le phénomène n’est pas propre au Nigeria
Les distilleries locales en Afrique représentent un business de plusieurs milliards de dollars dans un secteur qui échappe à toute réglementation.
Au Kenya, 80 personnes sont mortes en avril 2015 après avoir consommé de l’alcool artisanal fait à base de maïs fermenté ou de sorgho, très prisé dans les quartiers pauvres. Des producteurs peu scrupuleux y ajoutent aussi du méthanol ou d’autres produits toxiques pour augmenter le taux d’alcool. Une pratique interdite, passible de cinq ans de prison.
Au Cameroun, le gouvernement a officiellement interdit les «whiskies» à base de méthanol vendus en sachets dans les marchés du pays. Comme l’indique le bi-hebdomadaire camerounais Aurore Plus, «certains consommateurs des sachets de whiskies affirment que cet exercice leur permet de noyer leurs soucis. Certains n’hésitent pas à parier sur celui qui consommera le plus grand nombre de sachets… Quand on a des sachets dans la poche, on dégaine, on les suce, comme si on buvait du petit lait.»
Aussi, certaines entreprises ont préféré investir dans la fabrication et la commercialisation de l’alcool en sachets, moins cher, mais très toxiques pour la santé. Malgré l’interdiction, le whisky des gagne-petits, communément appelé «odontol» est loin d’avoir dit son dernier mot.
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