Niger: la paralysie de l'industrie textile face à l'invasion de tissus asiatiques bon marché
Pendant plusieurs années, la Chine a été vue comme un sauveur par la Société des Textiles du Niger (Sotex), l'unique entreprise de production de textile du pays. Aujourd'hui, elle est considérée comme son fossoyeur.
Deux gardiens veillent sur l'usine déserte de Niamey. Machines à l'arrêt, employés au chômage technique, manque de repreneurs : la Société des Textiles du Niger (Sotex) est asphyxiée par des coûts de production élevés et le déferlement de tissus asiatiques à bas prix.
Depuis un an, l'entreprise a "suspendu" sa production et "mis au chômage technique" ses 150 employés. "Nous ne nous sommes pas encore déclarés en faillite", assure son directeur général Aboubacar Gourouzane : "II y a des démarches tous azimuts pour trouver un partenaire stratégique."
En 1997, les Chinois ont relancé la société
Selon l'actionnaire unique de la Sotex, l'homme d'affaires nigérian Abdoulaye Karda, des discussions ont eu lieu "sans succès" en octobre 2018 avec des investisseurs tunisiens, turcs et avec le réputé groupe hollandais Vlisco, grand producteur de wax, des tissus aux motifs multicolores très populaires en Afrique de l'Ouest. M. Karda exhorte "l'Etat nigérien à créer les conditions favorables" pour "attirer" de potentiels repreneurs.
"Certains travailleurs sont partis au village pour cultiver, d'autres vivent aux crochets de leurs proches. Certains ont été chassés de leurs maisons faute de pouvoir payer le loyer", témoigne l'un d'eux, employé depuis dix ans.
Ancienne société française implantée il y a 49 ans à Niamey, la Sotex était devenue une entreprise d'Etat, avant d'être privatisée et rachetée en 1997 par la China World Best, une compagnie chinoise. L'arrivée des Chinois avait permis de relancer la société, d'embaucher et de rénover une partie de son matériel désuet.
Fin des avantages fiscaux, début des difficultés
A son apogée, au début des années 2000, la Sotex produisait jusqu'à 10 millions de mètres de tissu par mois. Elle disposait de galeries dans la capitale et exportait en Côte d'Ivoire, au Bénin, au Togo, Burkina Faso, se rappelle un ex-cadre de l'entreprise.
En 2006, la Sotex a survécu à la crise mondiale du coton grâce à un plan de sauvetage, assorti d'une politique protectionniste made in Niger. Soutenu par le gouvernement, ce plan lui concédait un régime fiscal bienveillant et des exonérations sur ses importations de matières premières. Mais cette embellie prend fin en 2011 avec la fin des "privilèges" fiscaux et des exonérations douanières dont jouissait la société, explique M. Gourouzane.
Cela a été "un coup de massue" pour la Sotex qui depuis doit affronter "la concurrence asiatique" et "les difficultés" d'approvisionnement en matières premières, commente l'économiste nigérien Idrissa Souley. "On s'est retrouvé avec 40% de frais supplémentaires, rendant peu compétitifs nos produits", précise le directeur général adjoint Chaïbou Oumarou.
Premier critère pour les petits budgets : le prix
Le chiffre d'affaires plonge : de 4 milliards de francs CFA (6 millions d'euros) par an au début des années 2000, à moins d'un milliard de FCFA (1,5 millions d'euros)" en 2017, confirme M. Gourouzane. Dans la foulée, la China World Best se retire en 2011 du capital de la société, qu'elle détenait à 80%.
Amina, une restauratrice, juge "les tissus Sotex de meilleure qualité, mais juste un peu chers". Pour la plupart des Nigériennes à faibles revenus, les tarifs des textiles bas de gamme chinois, indiens et pakistanais qui inondent les marchés restent une véritable aubaine.
Dans ces conditions, relancer les tissus Sotex, malgré leur qualité reconnue, face à une concurrence asiatique soutenue par le consommateur, semble bien difficile.
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