Manifestations au Maroc : comparer le mouvement à la Tunisie en 2011, "c'est ne pas connaître le pays"
Journaliste marocaine, Aïcha Akalay explique les raisons des manifestations organisées dans tout le pays après la mort d'un vendeur de poisson, vendredi.
Ecrasé par le mécanisme de compactage à l'intérieur d'une benne à ordure : les terribles images de la mort d'un marchand de poisson d'une trentaine d'années, Mouhcine Fikri, vendredi 28 octobre, à Al-Hoceima, ont choqué les Marocains. Des milliers de personnes ont manifesté dans cette ville du Rif, dimanche, après son enterrement. Des rassemblements ont aussi eu lieu à Casablanca, Marrakech ou Rabat.
Les manifestants voient dans le sort de cet homme, qui tentait de récupérer sa marchandise confisquée par les autorités, un symbole de l'injustice de la société marocaine. Dans les cortèges comme sur internet, certains ont fait un parallèle entre ces manifestations et le début du printemps arabe, en 2011, lui-même déclenché par la mort d'un commerçant en Tunisie. Franceinfo a interrogé Aïcha Akalay, directrice de la rédaction de l'hebdomadaire marocain Tel Quel, qui nuance la portée de ce mouvement.
Franceinfo : De l'extérieur, la mort de Mouhcine Fikri peut faire penser à celle de Mohamed Bouazizi, ce vendeur ambulant tunisien à l'origine du printemps arabe en 2011. Ce parallèle a-t-il un sens ?
Aïcha Akalay : C'est ne pas connaître le Maroc que d'affirmer des choses pareilles. Il faut savoir raison garder : les manifestations étaient pacifiques, elles se sont passées dans le calme, et sans intervention des forces de l'ordre.
En voyant les choses à travers un prisme occidental et orientalisant, on a l'impression qu'il va arriver la même chose qu'en Tunisie. Mais ce sont deux pays différents. Le régime de Ben Ali n'est pas notre régime politique, où le monarque fait consensus et le gouvernement est élu.
Les gens demandent la justice. On a entendu quelques slogans appelant à la révolution ou en référence à la Tunisie, mais je n'ai pas le sentiment que ce soit quelque chose de fort dans la société marocaine.
Qu'est-ce que la "hogra" contre laquelle défilent les manifestants ?
C'est une forme de mépris pour les faibles, pour ceux qui n'ont pas de moyen pour se défendre. Le décès de Mouhcine fait écho à ce sentiment douloureux chez les Marocains. Ce sont les vendeurs ambulants parfois malmenés par les autorités ; le citoyen lambda qui veut aller porter plainte contre plus puissant que lui, et qui sait que la justice ne lui donnera pas raison ; le paysan exproprié de ses terres et démuni devant la justice qui ne reconnaît pas ses droits.
L'année a été difficile sur le plan économique, la situation sociale est tendue, et on n'est pas encore arrivés à édifier un Etat de droit avec une juste répartition des richesses. Selon les premiers éléments, la mort de cet homme est un accident. Et ce qui a profondément choqué, c'est la vidéo. Je défie quiconque de rester insensible devant ces images. Broyé dans une benne à ordures : cette mort est une allégorie à elle toute seule.
Comment ce mouvement va-t-il se prolonger ?
C'est impossible à dire. On attend les premiers éléments de l'enquête, qui vont sûrement tomber dans la semaine. Mais les autorités prennent les choses très au sérieux : le ministre de l'Intérieur a réagi rapidement et s'est rendu aux côtés de la famille, et le roi a ordonné l'ouverture d'une enquête.
Le Maroc est un pays en mutation. Le pouvoir central est encore très présent, mais il y a aussi des signaux positifs depuis l'adoption de la nouvelle constitution en 2011. Le palais n'est pas fan des islamistes, mais le parti est arrivé en tête des élections début octobre et son chef a été reconduit pas le roi à la tête du gouvernement. Des compromis sont faits et donnent de l'espoir. Que les gens puissent manifester massivement sans être réprimés, ça permet d'être optimiste.
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