Les manuscrits de Tombouctou, mémoire écrite de l'Afrique
«Tout le monde sourit à Tombouctou» depuis que les groupes islamistes ont quitté la ville, écrit joliment le journaliste Nicolas Delesalle dans Télérama. Sourient notamment ceux qui, au péril de leur vie, ont réussi à cacher les précieux documents ou à les faire sortir de la cité. Le 29 janvier 2013, des membres d’Ansar Dine (les «défenseurs de la religion») ont incendié l’institut Ahmed-Baba où se trouvaient, en principe, nombre de ces précieux documents. Mais ils n’auraient brûlé qu’une vingtaine d’ouvrages sans intérêt scientifique majeur.
Tombouctou est un mythe à elle seule. Située au carrefour de tous les peuples sahariens, la ville a été fondée au XIIe siècle par des Touaregs. Elle occupe alors une position stratégique pour les caravanes du commerce (notamment de sel et d’or) transsaharien, au point de jonction du désert et de la vallée du Niger. Les principaux itinéraires partaient de là pour se diriger vers le nord (la Méditerranée) et l’est (Le Caire, la Mecque, voire la Perse) de l’Afrique.
La ville se couvre de monuments en pisé (mélange de terre et de paille) et est visitée par des voyageurs venus du monde connu. En 1353, le voyageur Ibn Battuta, originaire de Tanger, la surnomme la «cité des 333 saints». De fait, la religion, en l’occurrence l’islam, arrivée dans la région au VIIIe siècle, y occupe une place prépondérante. En 1325, le souverain tombouctin Kankan Moussa s’était rendu à La Mecque, «escorté de quarante mules chargées d’or» et «d’une suite de cinquante mille affidés», rapporte Jean-Michel Djian, dans son beau livre, Les Manuscrits de Tombouctou. Secrets, mythes et réalités (JC Lattès, 25 €). Il en revint accompagné d’architectes, d’artisans et d’intellectuels.
Une tradition de l’écrit
Après être passée sous différentes dominations, Tombouctou est conquise à l’aube du XVe siècle par l’empire des Songhaïs, qui s’étend du Sénégal à la boucle du Niger. A partir de 1458, la cité va connaître un «âge d’or» (auquel met fin en 1591 une invasion marocaine), sous la dynastie musulmane des Askia. Celle-ci va notamment sécuriser le Sahara, permettant l’essor du commerce.
Les Askia protègent les lettres et ceux qui s’en occupent, les oulémas, mot provenant de l’arabe ulamà, savant. Ceux-ci, dont «le métier est d’enseigner et d’interpréter les textes religieux», perpétuent une tradition de l’écrit qui remonte au moins au XIIIe siècle, avec la charte du Mandé, promulguée en 1236 par l’empereur du Mali Soundjata Keita.
Tombouctou ne se contente donc pas d’être un lieu intense d’échanges de marchandises. Les caravanes apportent avec elles les textes des philosophes grecs qui parviennent ainsi chez les oulémas. Ceux-ci «cogitent, critiquent contestent». Attirés par ce bouillonnement intellectuel, «des lettrés accourent du Caire pour (…) se former» à Tombouctou, rapporte le Tarikh es-Soudan (littéralement «histoire du pays des Noirs»), une chronique en arabe sur la vie quotidienne dans la ville vers 1650. Au XVe siècle, quelque 25.000 étudiants auraient ainsi fréquenté une centaine d’écoles coraniques.
Comment réussir un acte sexuel
Les lettrés fixent leur pensée par écrit, sur des parchemins en peau de mouton, en papier ou en écorce, ou sur des omoplates de chameau. C’est ainsi que naissent les fameux manuscrits. Ceux-ci sont rédigés en arabe et en ajami, c'est-à-dire «en caractères arabes mais à partir des langues africaines peule, swahili, wolof ou hausa», écrit Jean-Michel Djian dans son livre. «Comme le latin pour les chrétiens d’Europe, l’arabe a permis aux musulmans d’Afrique d’importer et d’exporter textes et idées», précise-t-il.
En dehors des copies de textes plus anciens, la plus grande partie de ces écrits reflètent une production intellectuelle originale. On y parle de religion, bien sûr, mais aussi de mathématiques, de droit, d’astronomie, de chimie… On y trouve aussi des recettes médicinales, des poèmes, des principes de gouvernance. Ou encore des conseils pour réussir un acte sexuel et réfréner l’épouse dans ses tentations d’infidélité ! Est ainsi proposée une recette à base… de testicules ou de sang de volaille.
Le nombre de ces documents est impressionnant : on en compterait entre 100.000 et 300.000 dans la région de Tombouctou. On évoque aussi parfois le chiffre de 900.000 pour tout le Mali !
Une histoire à réécrire
Pourtant, les manuscrits restent peu connus. Habitués aux invasions étrangères, les habitants parviennent à les soustraire à la curiosité et à la convoitise extérieures. Quand le Français René Caillié, premier explorateur à revenir vivant de Tombouctou, y séjourne en 1828, il n’en entend pas parler. Et les colons français «ne devinent rien» de leur existence. Il faut dire que les documents sont entreposés chez des habitants depuis des générations sous forme de liasses dans des cantines en fer rouillée. Des habitants qui en ont parfois hérité sans le savoir. Dès que survient une menace, ils disparaissent sous les sols de boue séchée, dans des placards, des boîtes, des grottes… Aujourd’hui, une partie a été confiée au centre Ahmed-Baba (du nom d’un savant exilé à Fès lors de l’invasion marocaine), créé par l’Unesco. Parmi cette énorme masse d’écrits, à peine 1% seraient traduits. Et très peu sont numérisés.
Conséquence : jusque là, les manuscrits ont été assez peu étudiés et n’ont donc que fort peu livré leurs secrets. Si leur valeur patrimoniale est considérable, leur intérêt scientifique l’est au moins tout autant. Ces écrits prouvent «que ces populations auxquelles on est tenté de refuser toute initiative en matière de progrès, ont eu une civilisation propre qui ne leur avait pas été imposée par un peuple d’une autre race», écrivait déjà il y a un siècle Georges Houdas, professeur à l’Ecole des langues orientales de Paris, dont la traduction du Tarikh el-Fettach fait autorité. En clair : l’histoire de l’Afrique noire n’est pas uniquement orale, elle est aussi écrite. Une histoire «oubliée ou refoulée» qui reste à réécrire, explique le propriétaire d’une bibliothèque de 5000 manuscrits.
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