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Le nord-Mali, zone de prédilection des trafiquants de tout poil

Malgré l’intervention française Serval, lancée en janvier 2013, le nord du Mali reste une zone de tous les trafics. Des trafics alimentés notamment par les groupes djihadistes qui relèvent la tête, souligne Serge Daniel, journaliste à l’AFP et correspondant de Radio France Internationale au Mali dans son livre «Les mafias du Mali, Trafics et terrorisme au Sahel» (éditions Descartes et Cie).
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Quelque part dans la région de Tombouctou (nord du Mali) en mars 2010. (AFP - Nicolas Thibaut - Photononstop)
Vous expliquez que des trafics en tout genre transitent par le Mali : drogue, armes, otages, immigrants clandestins et même bébés… Pourquoi passent-ils tous par ce pays ?
De fait, toutes les mafias du monde se retrouvent au Mali. Je comparerais cela à un train. La locomotive s’appelle illégalité. Elle entraîne un wagon de drogue, un wagon de fausses monnaies, un autre d’êtres humains… De ce point de vue, chaque groupe avec un vernis islamiste a une mafia pour se financer.
 
Tous profitent d’un espace où l’on compte deux à trois habitants au km². Appliquant le principe que «La nature a horreur du vide», ils profitent aussi de l’abandon total de la zone par le gouvernement de Bamako. Résultat : ils peuvent aller facilement vers l’Europe, via l’Algérie et le Maroc, ou en direction de l’est, vers l’Egypte et le Tchad. Des routes qui se sont diversifiées avec l’intervention française.

Dans ce contexte, les trafiquants ont pu installer dans le désert, en toute impunité, des caches souterraines qu’ils repèrent grâce à des coordonnés GPS. On compte ainsi sous le sable autant de réserves d’essence que dans tout le reste du Mali. De ce point de vue, il y a une certaine solidarité entre les groupes mafieux. C’est un peu : «Trafiquants de tous les pays, unissons-nous!»
 
Quel est le trafic le plus important ?
Depuis quelques années, celui de la drogue a pris une importance croissante. Au départ, c’était plutôt du haschich. Mais maintenant, les trafiquants privilégient la cocaïne : un pick-up de cocaïne rapporte autant que 40 de haschich ! Un véhicule est d’ailleurs protégé par une dizaine d’autres qui transportent en même temps des armes. Les sommes en jeu sont considérables. On estime ainsi que les 10 tonnes de cocaïne sud-américaine d’un Boeing 727, dont la carcasse a été retrouvée en 2009 dans le désert malien, ont rapporté 300 millions d’euros.    
 
La deuxième source de revenus, c’est le trafic d’otages. La libération des captifs d’Arlit, le 29 octobre 2013, a ainsi rapporté 30 millions d’euros à leurs ravisseurs. Une somme payée par Areva et Vinci avec le feu vert de Paris. Mais il n’y a pas que la France qui paye. C’est également le cas de l’Espagne, de la Suisse, du Canada… Outre l’argent qu’ils donnent, certains de ces pays présentent un autre avantage pour les ravisseurs : ils exercent des pressions sur le gouvernement malien pour obtenir la libération de djihadistes prisonniers.

Patrouille de militaires français dans la vallée de Terz, à quelque 60 kilomètres de la ville de Tessalit (nord du Mali) le 20 mars 2013. (Reuters - François Rihouay)
 
L’argent va bien sûr aux preneurs d’otages. Mais certaines sommes peuvent aussi être distribuées parmi la population locale. En novembre 2012, le Mujao a ainsi donné 50 millions de francs CFA (environ 75.000 euros, NDLR) au Comité des sages de Tombouctou. Dans d’autres cas, les islamistes ont offert des médicaments, des vivres. L’argent est parfois employé pour la corruption. Notamment de certains responsables maliens.
 
A la lecture de votre livre, on est surpris du rôle central occupé par l’Algérie. Ce pays peut servir de refuge pour les chefs djihadistes. On trouve parfois au Mali des véhicules, de l’essence ou de la nourriture venus d’Algérie. Quel rôle joue donc ce pays ?
Ce n’est pas facile de répondre ! Pour moi, cette situation traduit un échec de la politique sécuritaire d’Alger. J’ai l’impression qu’elle résulte de contradictions internes au sein du pouvoir algérien qui n’a pas su définir une ligne sécuritaire claire vis-à-vis du Nord-Mali. Ses voisins, d’ailleurs, ne comprennent pas son attitude. Pour autant, mon sentiment, c’est que si l’Algérie voulait pacifier la zone, elle y parviendrait.
 
Au final, l’intervention française a-t-elle changé la donne ?
Si elle n’avait pas eu lieu, l’Etat malien n’existerait plus. Il doit donc son existence à Serval. L’opération a cassé un rein à Aqmi et aux autres groupes. Mais la bête vit toujours. Et je pense que si les Français partaient, les islamistes seraient de retour dans les deux semaines. Quelques centaines d’hommes se sont fondus dans les populations locales, en se rasant et en s’habillant comme des nomades : Aqmi est dans la région de Tombouctou, le Mujao à Gao, les islamistes touaregs à Kidal.
 
Ils continuent à recruter parmi les jeunes et sont capables de mener des opérations d’envergure. Comme récemment dans telle localité à une cinquantaine de kilomètres de Gao, occupée pendant trois heures par le Mujao. Abandonnées par le pouvoir central, les populations locales ne sont pas prêtes à les dénoncer.
 
A vous écouter, la situation paraît insoluble…
Je pense qu’il faudrait installer à demeure une force internationale dans la région. Seuls, les Français ne peuvent pas tout faire. De plus, il faudrait que les pays du Sahel, Mali, Algérie, Mauritanie, Niger, mènent une lutte commune.

Mais si l’on parle de lutte anti-terroriste, il faut aussi parler développement. Un développement particulier adapté aux populations nomades qui vont là où eux et leurs troupeaux trouvent à manger dans des zones qui se jouent des frontières. 

  (DR)


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