L'Armée française a besoin du privé pour se déplacer en Afrique
Faute de moyens aériens suffisants, l'opération Barkhane utilise régulièrement des avions privés russes ou ukrainiens, même pour les forces spéciales.
On appelle cela les OPEX, pour "opérations extérieures", une projection sur un terrain étranger de l’armée française. La plus importante est en cours, il s’agit de Barkhane aux confins du Mali et du Niger. 4000 soldats engagés et des centaines de véhicules. Des hommes et du matériel qu’il faut "projeter" selon l’expression militaire. Et cela se fait désormais par avion. Des avions privés russes ou ukrainiens. C’est là où le bât blesse.
La flotte aérienne militaire de transport est insuffisante. Le constat est accablant. Le matériel est vieillissant, dépassant parfois les 50 ans d’âge, comme les ravitailleurs C135. Leur capacité opérationnelle n’est plus à la hauteur. La France compte beaucoup sur le projet européen de l’Airbus A400 M. Un transport de troupes moderne, mais dont le programme a pris du retard et dont les livraisons ont à peine commencé. De toutes manières, sa capacité de transport est insuffisante, cinq fois inférieure à celle de l’Antonov.
Equipages russes ou ukrainiens
Il faut donc externaliser le transport aérien stratégique faute de moyens en propre. Ainsi, la France passe par le cadre de l’OTAN, qui lui donne accès à de gros porteurs type Antonov. Pour se prémunir d’une quelconque défaillance, la France a doublonné ce contrat avec une société privée : International Chartering Systems (ICS). C’est la société mandataire d’un groupement de cotraitants biélorusse, russe et ukrainien. Un attelage pour le moins curieux pour un pays membre de l’OTAN !
Faisant suite à un rapport de la Cour des Comptes, le député François Cornut-Gentille a rédigé un rapport sur cette faiblesse du transport aérien français. Il parle "d’abandon de souveraineté" et de "choix contraint". Le volume financier consacré aux externalisations a atteint 235,9 millions d’euros en 2017, dont la moitié pour la seule opération Barkhane.
Sur le théâtre des opérations
L’externalisation des moyens aériens concerne aussi le transport tactique, comprenez au plus près des combats. Et selon la Cour des Comptes, "les marchés d’affrètement aérien à l’intérieur des théâtres d’opération, qui ne comptent que pour 10% des dépenses d’externalisation, concentrent les critiques."
L’opération Barkhane, du fait de l’immensité de la zone d’intervention est particulièrement gourmande en moyens aériens. Et l’armée française n’hésite pas à recourir au secteur privé, même pour le déplacement de forces spéciales. François Cornut-Gentille s’interroge – tout comme la Cour des Comptes – sur les questions de confidentialité que cela soulève et des risques que courent les personnels. Ainsi, deux tragiques accidents en 2016 à Malte et en 2017 à Abidjan ont entraîné la mort de militaires français.
"Les principaux risques contre lesquels les armées doivent se prémunir tiennent aux caractéristiques des avions affrétés, souvent d’anciens appareils militaires du pacte de Varsovie. L’attention portée à l’état d’entretien des appareils et à la formation des équipages doit être rigoureuse et s’appuyer sur les certificats et licences conformes à la réglementation."
"Sur ce secteur crucial se côtoient des filiales de grandes sociétés et des très petites entreprises, des démarches professionnelles et des initiatives opportunistes. L’ensemble est particulièrement hétéroclite et génère des comportements commerciaux peu conformes à l’idée que l’on peut se faire d’un marché crucial pour la Défense", écrit le député.
Milieu délétère
D’évidence, le milieu est pour le moins vicié. Selon le député, la réputation de certaines sociétés laisse à désirer. Leur profil est flou, les équipages employés ne sont pas forcément salariés de l’entreprise dans un milieu de casse-cous au passé parfois sulfureux.
En conclusion, le rapport de la Cour des Comptes est cependant moins alarmiste qu’il n’y paraît. Et comme le député Cornut-Gentille, la Cour note un effort pour corriger ce qu’elle appelait des "anomalies". "Depuis 2017, la force Barkhane a trouvé un point d’équilibre en matière de prix, de disponibilité et de relative fiabilité des services affrétés. Les opérations militaires n’ont pas été compromises par la défaillance de prestataires ; les accidents aériens pour des causes mécaniques ou humaines ont été jusqu’ici limités en nombre et en gravité. Ce constat ne garantit pas que le niveau de risque pour nos forces soit optimisé ; les efforts déjà réalisés pour le diminuer doivent être poursuivis."
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