Les pêcheurs ouest-africains désarmés face aux chalutiers-pilleurs étrangers
Rien que pour le Sénégal, le manque à gagner s’est élevé à 300 millions de dollars en 2012. C’est 2% de son Produit intérieur brut.
Le rapport publié en 2016 par les experts de l’ODI, un groupe de réflexion britannique spécialisé dans le développement, est alarmant.
«Les poissons pêchés illégalement en Afrique de l’Ouest sont transportés dans des conteneurs géants réfrigérés et mélangés à d’autres cargaisons pour échapper à des contrôles en Europe», explique Alfonso Daniels, un des auteurs du rapport.
Un pillage en règle orchestré par des chalutiers géants venus parfois d’aussi loin que de la Corée du Sud ou de la Chine.
Selon Alfonso Daniels, l’opacité des accords de pêche entre gouvernements ouest-africains et leurs partenaires commerciaux, les capacités limitées de patrouilles et les failles juridiques à l’arrivée de ce poisson en Europe contribuent à aggraver le problème.
La surpêche coûte un milliard d’euros par an
L’Union européenne est le principal client du continent. Elle vient de renouveler pour quatre ans son accord de pêche avec la Mauritanie. Un accord considéré comme un modèle de transparence dans la lutte contre la surpêche qui coûte jusqu’à un milliard d’euros par an aux pays d’Afrique de l’Ouest.
Au terme de cet accord, 100 bateaux européens pourront pêcher dans les eaux mauritaniennes pour un total d’environ 280.000 tonnes par an. Les bateaux qui y auront accès viennent d’une douzaine de pays européens.
En retour, l’Union européenne s’est engagée à verser près de 60 millions d’euros par an dans le cadre de ce partenariat.
En 2014, l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estimait à 400 millions de dollars par année, le montant des recettes de la vente de droits de pêche accordés à des opérateurs étrangers.
Sur le papier, les engagements sont parfaits, note Greenpeace. Mais les chercheurs de cette ONG de défense de l’environnement constatent que les communautés locales et le secteur de la pêche ne semblent pas en avoir beaucoup profité.
«Les chalutiers détruisent les outils traditionnels»
Les accords sont passés avec le gouvernement, mais ce sont les communautés locales et les mers africaines qui en payent le prix, déplore Greenpeace.
«Il y a de moins en moins de poissons et les pêcheurs locaux doivent entreprendre des voyages de plus en plus lointains. Certains baissent tout simplement les bras. Les chalutiers détruisent les outils traditionnels que les locaux n’ont pas les moyens de remplacer», constate Greenpeace.
L’ONG détaille l’appauvrissement des stocks halieutiques le long de la côte ouest-africaine. Les petits pêcheurs africains sont obligés d’aller chercher leurs prises en haute mer.
«Les pêcheurs locaux, avec leurs bateaux d’allure médiévale, sont en concurrence avec les chalutiers européens. Un de ces chalutiers peut ramasser jusqu’à 250 tonnes de poissons par jour. En comparaison, il faudrait un an à 56 bateaux traditionnels africains pour capturer le même volume.»
«La face cachée de la pêche chinoise»
Aux ravages causés par la pêche industrielle européenne est venu s’ajouter un autre scandale. Celui du pillage chinois. En 2015, Greenpeace y a consacré un rapport intitulé, Arnaque sur les côtés africaines : la face cachée de la pêche chinoise.
Les «bateaux usines» chinois qui opèrent sans permis ou dans des zones interdites en toute impunité, compromettent le partenariat gagnant-gagnant que la Chine préconise avec les pays africains, note l’enquête de Greenpeace.
«Les bateaux qui opèrent dans ces zones sont généralement plus longs que des terrains de football et aspirent littéralement le fonds des océans», dénonce l’ONG.
Les chalutiers commerciaux profitent de l’absence de contrôle dans la plupart des pays de la région pour piller leurs fonds marins.
Investir dans l’industrie de la pêche
Pour lutter contre ce pillage scandaleux opéré par les flottes étrangères, les experts de l’ODI appellent les gouvernements de l’Afrique de l’Ouest à renforcer leurs industries de transformation du poisson et les flottes de pêche autochtones, au lieu de vendre des droits de pêche à des opérateurs étrangers.
Ces droits, affirment-t-ils, pourraient générer près de 3 milliards d’euros de revenus, si le continent pêchait et exportait lui-même les poissons. Ce qui permettrait de créer 300.000 nouveaux emplois.
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