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Fleuve Congo : des projets titanesques et conflictuels

Au centre d'un sommet le 6 mai 2018 à Brazzaville, l'immense fleuve Congo a toujours suscité les projets les plus titanesques d'Afrique, depuis le transfert de ses eaux pour remplir le gigantesque lac Tchad, jusqu'à la méga-centrale hydro-électrique Inga. Des projets qui opposent les pays riverains sur l’utilisation des eaux du 2e plus grand fleuve du continent.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Le fleuve Congo à Kinshasa, capitale de la RDC, le 7 mars 2010 (REUTERS/Katrina Manson)

Plusieurs chefs d'Etat africains sont attendus à Brazzaville, avec le roi du Maroc en invité d'honneur, pour un sommet «Fonds bleu» consacré au développement du deuxième plus grand fleuve d'Afrique (4700 km) après le Nil (6695 km).

Deux mois avant la réunion de Brazzaville, des experts et des diplomates avaient remis au goût du jour au Nigeria une vieille idée: le creusement d’un canal de 2600 km depuis la République démocratique du Congo à travers la Centrafrique pour détourner les eaux du Congo via son affluent l'Oubangi, en faveur du lac Tchad menacé d'assèchement. A cheval sur quatre pays (Nigeria, Niger, Tchad, Cameroun), cette étendue d’eau, d’une superficie de 1350 km2, « immense oasis, liant le Sahel et l’Afrique centrale», est le bassin de vie de 40 millions de personnes.

Unanimité à Kinshasa
Le projet, nommé Transaqua (transfert des eaux, aqua signifiant eau en latin), a refait surface en catimini, sans que la RDC soit mise dans la boucle. Il a déjà réussi un vrai tour de force, en faisant l'unanimité contre lui à Kinshasa en cette période de grande instabilité.

Sur la rivière Oubangui, affluent du fleuve Congo, le 4 janvier 2013... Cette rivière est une frontière naturelle entre la Centrafrique et la RDC. (REUTERS/Luc Gnago )

Transaqua représente «un danger pour la République», a estimé le député de la Majorité présidentielle (MP) Patrick Kakwata, membre de la commission Environnement du Parlement. Selon, le projet risque de porter atteinte à la «souveraineté» du pays. Le leader de l'opposition et candidat à la présidentielle de décembre Félix Tshisekedi a également considéré le transfèrement des eaux du fleuve Congo comme «un risque pour la stabilité du pays» lors de son premier meeting de campagne le 24 avril.

A Kinshasa, les experts affirment surtout que Transaqua compromet le plus grand projet de la RDC, Grand Inga, un barrage hydro-électrique dans la province du Bas-Congo. Un équipement qui serait construit sur un site où existent déjà deux barrages (Inga 1 et 3), avant que le fleuve se jette dans l'océan Atlantique.

Grand Inga, ou encore Inga 3, doit compléter et moderniser les deux centrales électriques vieillissantes (Inga 1 et Inga 2) entrées en service entre 1972 et 1982 sur les chutes Inga à 260 km en aval de Kinshasa. Un programme qualifié de «rêve fou» par Le Monde en 2015.

Projet de tous les superlatifs sur le papier
Au fil des années, Inga 3 a été le projet de tous les superlatifs: «Equivalent de 24 centrales nucléaires, il pourrait satisfaire 40% des besoins énergétiques du continent africain», résumait en 2017 le think tank français Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). «S'il venait à être réalisé, avec un coût voisin de 50 à 80 milliards de dollars, ce gigantesque projet de six barrages - installé sur le site exceptionnel des chutes d'Inga qui débitent selon les saisons entre 30.000 et 60.000 m3 d'eau par seconde - pourrait produire jusqu'à 40 gigawatts d'électricité, soit deux fois plus d'énergie que le barrage des Trois Gorges en Chine», ajoutait l'Iris. Un ouvrage lui-même déjà colossal

Les barrages d'Inga 1 (au second plan) et Inga 2 (au second plan) en République Démocratique du Congo sur le fleuve Congo le 16 décembre 2013. (MARC JOURDIER / AFP)

Pour l'instant, Inga 3 n’existe que sur le papier. L'immense majorité des 70 à 90 millions de Congolais n'ont pas l'électricité. Les autres subissent de nombreuses coupures.

Faute de financement, le Grand Inga est resté dans les cartons jusqu'en 2013. Cette année-là, l’Afrique du Sud promet d'acheter plus de la moitié de la production d'électricité du futur barrage, garantissant une viabilité financière au projet.

Un pas en avant pour deux pas en arrière. En 2016, la Banque mondiale annonce qu'elle interrompt ses financements. Motif : une «décision du gouvernement de la RDC de donner au projet une orientation stratégique différente de celle qui avait été convenue en 2014». Mais le projet connaît un espoir de redémarrage en juin 2017. Les autorités congolaises assurent alors que deux consortiums étrangers rivaux vont travailler ensemble: l'espagnol ACS et China Three Gorges Corporation.

La RDC espère toujours que le Grand Inga sera opérationnel au milieu de la prochaine décennie. Et Kinshasa affirme avoir besoin de toute la force des eaux du fleuve Congo. Dans cette optique, le projet Transaqua risque d'«impacter le débit du fleuve Congo et cela va avoir des conséquences sur la réalisation de ce grand projet d'Inga», affirme le ministre de l'Environnement, Amy Ambatobe. «Les études qui ont été réalisées pour le projet Inga ont été faites sur base de la régularité du débit du fleuve Congo et de ses deux affluents principaux», l'Oubangi et le Kasaï, détaille le ministre. Conclusion : ni Transaqua ni Inga 3 ne sont peut-être pas prêts de voir le jour…

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