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JO: pourquoi le marathonien Feyisa Lelisa médiatise les violences en Ethiopie?

Dimanche 21 août, l’Éthiopien Feyisa Lilesa a franchi la ligne d’arrivée du marathon des JO en faisant mine d'être menotté. Un signe de protestation contre le régime éthiopien qui pourrait, selon lui, valoir une peine de prison ou la mort s’il retourne dans son pays. Nous avons interrogé Roland Marchal, chercheur au CNRS, afin de comprendre le climat politique de ce géant de l'Afrique de l'Est.
Article rédigé par Valentin Pasquier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le 21 août, l'Ethiopien Feyisa Lilesa croise les bras alors qu'il termine le marathon en seconde position. (Li Ming/Chine Nouvelle/SIPA)

Le fait de croiser les bras au-dessus de la tête est un signe particulier déjà vu dans les manifestations qui agitent le pays depuis novembre 2015. Pourquoi les Ethiopiens descendent-ils dans les rues?
Il y a plusieurs raisons. Tout d’abord, le régime éthiopien ne laisse aucune place à une quelconque opposition politique. Le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (FDRPE), coalition au pouvoir depuis 1991, a connu sa première défaite électorale en 2005 et cela se manifeste depuis par une répression systématique des opposants. C'est simple: l'année dernière, le FDRPE a raflé 100% des sièges aux législatives.

Aujourd’hui, la population est très jeune et elle souhaite un changement de la classe politique. Les dirigeants sont très majoritairement issus de l’ethnie tigréenne, qui compose seulement 6% de la population éthiopienne. Ce sont des gens qui ont compté dans l'histoire du pays, qui ont beaucoup investi dans leurs régions, contrôlent les milieux d'affaires.

Les groupes plus importants, les Oromos et les Amharas, ont de plus en plus le sentiment d’être écartés des décisions prises à la capitale, Addis-Abeba. Ils souhaitent depuis longtemps une réforme des régions ethniques du pays, une division administrative héritée de la Constitution de 1995. C'est un empilement très complexe de structures territoriales, dont certaines n'ont même plus d'utilité. Par exemple, le gouvernement refuse de gérer la capitale avec les Oromos, alors qu’elle est historiquement située sur leur territoire.

Les régions Oromia (rouge) et Ahmara (jaune) sont les régions les plus peuplées de l'Éthiopie (frontières en vert), pays pourtant contrôlé par les Tigréens (dont la région est en vert). La capitale, Addis-Abeba, ne dépend pas de la région Oromia: elle dispose de sa propre administration. (Valentin Pasquier / CartoDB)

 
Devant les journalistes, Feyisa Lilesa explique qu’il a souhaité protester contre la politique menée par le gouvernement éthiopien à l’encontre des Oromos... 
C’est une autre raison pour lesquelles les Ethiopiens manifestent. L’Etat vante le développement économique de l’Ethiopie – la métamorphose d’Addis-Abeba en dix ans ainsi que la croissance annuelle à plus de 10% en sont les preuves. Mais la répartition des fruits de la croissance est très inégale.

Le gouvernement avait pour ambition d’agrandir le territoire fédéral d’Addis-Abeba pour favoriser l’implantation de grands groupes dans la capitale. Or, cet agrandissement devait se faire au détriment de la région d’Oromia – plus grande région d’Ethiopie dont sont originaires les Oromos – avec l’expropriation des paysans Oromos. La loi a finalement été abandonnée, mais les manifestations continuent pour faire valoir les droits des Oromos et des Amharas, qui représentent tout de même 60% des Ethiopiens.

Des manifestants militent à Addis-Abeba le 6 août 2016 pour une meilleure répartition des richesses en Éthiopie. (Tiksa Negeri / Reuters)

 
Les manifestations de début août 2016, à Addis-Abeba et en région Amhara, ont entraîné la mort d'une centaine de manifestants. Le marathonien a déclaré qu’«un millier de personnes ont été tuées» depuis neuf mois et qu’il risque la prison ou la mort s’il rentre au pays. Le régime éthiopien est-il coutumier de ce genre de répression sanglante et se sent-il menacé?
L'Ethiopie n'est pas un régime policier comme peut l'être son voisin érythréen. Les forces de l'ordre n'ont pas la «culture de la répression»: elles ne reçoivent pas de formation de contrôle des foules. Les manifestants ne sont pas toujours pacifiques, les soldats paniquent et dégainent facilement leurs armes à feu. les victimes peuvent donc être très nombreuses.

Le régime surjoue sa fragilité dans cette crise, il regarde les manifestants comme une menace plus importante qu'ils ne le sont réellement. Les manifestations sont nombreuses et sporadiques, pas toujours réprimées, mais ne représentent pas une menace pour le pouvoir à court terme. Mais il est important d'observer que ce climat de protestation a l'air de s'installer.

Je doute que l'athlète soit tué s'il retourne en Ethiopie, car il a fait son geste devant les caméras du monde entier. Le pays est soucieux de garder une façade de «pays stabilisateur» de la corne de l'Afrique pour attirer les investisseurs étrangers. Il est cependant commun que l'Etat éthiopien pratique des pressions sur les familles de ses opposants médiatiques, en leur faisant perdre leur emploi, par exemple.

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