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L'Erythrée : «l'un des pays les plus secrets et inaccessibles au monde»

Vingt ans après que l’Érythrée a obtenu son indépendance, des milliers de prisonniers politiques sont enfermés dans les centres de détention du pays sans avoir jamais été inculpés, et on est sans nouvelles d’un grand nombre d’entre eux, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public jeudi 9 mai 2013.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Manifestation d'opposants erythréens à Londres en février 2013 (JUSTIN TALLIS / AFP)

Le rapport d'Amnesty International est particulièrement dur pour l'Erythrée, petit pays de 121.000 km2, dont l'indépendance a été reconnue par l’Onu en 1993 et qui fait rarement la Une des médias.

Intitulé «vingt ans d'indépendance, toujours pas de liberté», le texte d'Amnesty International pointe la manière dont, «au cours des deux dernières décennies, des opposants au gouvernement, des journalistes et des adeptes de religions non reconnues, ainsi que des personnes ayant essayé de quitter le pays ou d’éviter la conscription obligatoire, sont maintenus en détention sans inculpation dans des conditions d’une cruauté inimaginable».

«Le gouvernement recourt systématiquement aux arrestations arbitraires et aux détentions sans inculpation pour écraser toute opposition, réduire au silence tous les dissidents, et punir quiconque refuse de se plier aux restrictions répressives imposées aux citoyens», a précisé Claire Beston, spécialiste de l’Érythrée à Amnesty International.

Amnesty International estime qu’«au moins 10 000 personnes ont été placées en détention pour des motifs politiques par le gouvernement du président Isaias Afewerki, qui est au pouvoir depuis l’indépendance du pays, en 1993».

À la connaissance de l’organisation, «pas un seul de ces prisonniers politiques n’a été inculpé ni jugé, ni pu s’entretenir avec un avocat ou été déféré devant un juge ou un représentant de l’autorité judiciaire susceptibles de se prononcer sur la légalité et la nécessité de sa détention».

L'organisation de défense des droits de l'homme reçoit de nombreuses informations faisant état de «morts en détention à la suite d’actes de torture ou de suicides, ou encore en raison des épouvantables conditions qui y règnent. Des prisonniers meurent ainsi de maladies curables comme le paludisme et d’affections causées par une chaleur excessive» (voir la vidéo ci-dessous).


Selon Amnesty, «de nombreux centres de détention placent les prisonniers dans des cellules souterraines et des conteneurs métalliques. Beaucoup de ces établissements se trouvent dans le désert et les températures, qui peuvent y être extrêmes dans un sens comme dans l’autre, sont accrues par les conditions souterraines et les murs des conteneurs métalliques».

Petit pays de 6 millions d'habitants coincé entre la mer rouge, le Soudan, l'Ethiopie et Djibouti, l'Erythrée est née dans la violence et est l'un des régimes les plus fermés de la planète.

Il n'y a pas qu'Amnesty qui critique le régime. Reporters sans frontières a classé le pays «une des dernières dictatures totalitaires de la planète, figure parmi les plus fermées au monde» dernier dans son palmarès annuel des pays les plus répressifs. Au point d'être considéré comme pire que la Corée du Nord. «L’Érythrée est la plus grande prison d’Afrique pour les journalistes, avec au moins une trentaine d’entre eux incarcérés. Sept ont déjà succombé à leurs conditions de détention ou se sont suicidés», ajoute RSF.

Le régime peut pourtant afficher quelques succès économiques. Le PIB a progressé de 8.2 % en 2011, contre 2.2 % en 2010. Mais sa croissance est tres dépendante du cours de certaines matieres premieres (or, argent..). D'ailleurs l'exploitation minière est sous la surveillance d'Human Right Watch qui s'inquiétait récemment du possible «recours au travail forcé».

Les données économiques sur le pays montre une économie maîtrisée mais peu performante. De plus, l'Erythrée serait proche d'atteindre les objectifs de l'OMD en matière de réduction de la mortalité maternelle.

L'information est tellement vérouillée que personne ne sait ce qu'il s'est produit en janvier dernier dans le pays. Quelque 200 soldats avaient pris le contrôle du ministère de l'Information le 21 janvier 2013 pour réclamer la libération de tous les détenus politiques, avant de s'évaporer dans la nature le lendemain. La seule réaction du président Isaias Afewerki a été de dire que la stabilité du pays n'était pas menacée.

Résultat, de nombreux Erithréens fuient le pays. Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés de l'Onu, un millier d'Erythréens fuient chaque mois en Ethiopie, et autant au Soudan pour échapper à la conscription forcée. Quelsques personnalités du régime auraient aussi choisi de fuir, selon SlateAfrique. Conséquence de ces départs, à l'autre bout du voyage, la Suisse, par exemple, fait état pour le seul mois d'avril 2013, de l'arrivée de 194 Erythréens sur son sol tandis que d'autres sont toujours dans la région de Calais.

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