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L'Erythrée, «Corée du Nord» des sables

L’Erythrée est l’un des Etats les plus fermés au monde. Son président, Issaias Afewerki, héros de l’indépendance acquise en 1993 face à l’Ethiopie, a réduit ses concitoyens à l’état de quasi-esclaves. Conséquence : 20 % de la population a fui le pays.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Quelque part dans le désert érythréen... (AFP - Hemis.fr - Bruno Morandi)

En 1962, l’empereur éthiopien, Haïlé Sélassié, proclame l’annexion de l’Erythrée et en fait une simple province. Commence alors une guerre d’indépendance menée par le Front populaire de libération de l’Erythrée (FLE), d’obédience marxiste. A partir de 1970, le FLE est commandé par Issayas Afeworki, ancien ingénieur formé notamment en Chine maoïste.

En 1991, après avoir participé au renversement du régime du colonel Mengistu en Ethiopie les rebelles, les rebelles s’emparent d’Asmara, capitale de l’Erythrée. L’indépendance est proclamée deux ans plus tard. Issaias Afeworki devient le président du nouveau pays.

Les Erythréens vouent d’abord un véritable culte à ce dirigeant qui a vaincu l’Ethiopie. Mais «les guerriers ont du mal à se transformer en gouvernants», pour reprendre les propos d’un diplomate étranger.

Le président érythréen, Issais Afeorki, le 4 mai 2007 à Bruxelles (AFP - GERARD CERLES )

Système totalitaire contrôlé par l’armée
Issaias Afeworki installe un régime à parti unique. Au départ, pourtant, il est bien vu par les capitales étrangères, notamment en raison de son dédain affiché pour le luxe et «ses belles paroles sur le développement de l’Afrique par les Africains». Mais il se transforme très vite en dictateur d’un système totalitaire. Un système totalitaire entièrement contrôlé par l’armée, pilier du régime.

Le service militaire est obligatoire pour hommes et femmes dès l’âge de 16 ans, jusqu’à l’âge… de 40 ans. Ils restent alors à la disposition de l’armée. Celle-ci les affecte souvent à la construction (gratuite) de routes. Ou les fait travailler (tout aussi gratuitement) dans des mines gérées par des entreprises étrangères.

Famine et guerre
Les conséquences de cette militarisation de la société sont redoutables. Rurale à 80 %, la population ne peut plus travailler la terre et subit de plein fouet sécheresses et famines qui touchent la région. Mais le manque de nourriture, engendrée par une agriculture affaiblie, est «délibérément» institué: il «a été utilisé comme arme pour contrôler» les habitants avant que ne surviennent les calamités climatiques. Autre moyen de mettre la population au pas: la guerre. En 1998, un conflit éclate avec l’Ethiopie à propos de la frontière commune, longue de 1000 km. Il dure deux ans et fait 80.000 morts.

Conséquence : les habitants fuient en masse leur pays. Depuis 2004, 15 à 20 % des 6 millions seraient partis pour l’étranger.

Un tank abandonné dans le désert érythréen (AFP - Hemis.fr - Bruno Morandi)

Le pays est aujourd’hui une zone de non-droit et livré à l’arbitraire. «Des sources crédibles indiquent que les violations des droits de l'homme comprennent détentions arbitraires, torture, exécutions sommaires, travail forcé, enrôlement forcé et restrictions à la liberté de mouvement, d'expression, d'assemblée et de religion», expliquait ainsi le 18 juin 2012 la haute commissaire aux Droits de l’homme de l’ONU, Navi Pillay. En 2012, l’Erythrée a ainsi dépassé la Corée du Nord pour devenir l’Etat au monde où la presse est la plus censuré, selon un rapport du Comité pour la protection des journalistes.

Isolé mais pas trop…
Issaias Afeworki a brisé toute opposition, notamment en septembre 2001, alors que le monde entier avait les yeux rivés vers les Etats-Unis après les attentats de New York. Il «considère que l'Erythrée est sa propriété, sa vie, sa chose», explique le chercheur Léonard Vincent.

Aujourd’hui, l’Erythrée est très isolée au niveau international. Depuis 2009, Asmara est visé par des sanctions internationales du Conseil de sécurité en raison de son action déstabilisatrice en Somalie. En 2011, un rapport de l’ONU l’accusait de soutenir les rebelles shehab, ce que nie le président Issaias Afeworki.

Erythréenne portant ses deux enfants dans un camp de réfugiés près de Kassala (est du Soudan) (4-6-2000) (AFP - SALAH OMAR)
 
Néanmoins, le pays n’est pas totalement coupé du monde. Il dispose de certains atouts, notamment grâce à ses gisements d’or et à sa position stratégique sur la mer Rouge. «La Chine est très présente en Erythrée, le Qatar fournit de l'argent frais, la mafia italienne exploite des hôtels sur la mer Rouge et l'Union européenne... a fourni en 2007 une enveloppe de 122 millions d'euros pour cinq ans, raconte Léonard Vincent.

Le début de la fin ?
Pour autant, la dictature n’est peut-être pas aussi solide qu’il y paraît. L’Erythrée est un pays «sous grave tension même s’il n’est pas encore en crise ouverte», expliquait ainsi en 2010 un rapport du groupe de réflexion International Crisis Group. Le document constatait par ailleurs que le régime «s’affaiblit de manière constante». Notamment parce que l’armée, «gangrénée par la corruption», s’affaiblit.

Des rumeurs circulent par ailleurs sur internet sur l’état de santé du président, âgé aujourd’hui de 66 ans. Rumeurs qu’il a lui a même démenti, apparemment en bonne forme, en apparaissant à la télévision. Son régime accuse la CIA d’être «la source de cette histoire à dormir debout».

Un entretien avec Issaias Afeworki


AlJazeeraEnglish, 19-2-2010

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