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Avocats contre éléphants, nouvel épisode de la difficile cohabitation entre agriculture et faune sauvage au Kenya

Une immense plantation d'avocats bloquerait les voies de transhumance des éléphants du parc national d'Amboseli au pied du Kilimandjaro.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un éléphant sur fond de Kilimandjaro, une carte postale peut-être menacée. (YASUYOSHI CHIBA / AFP)

C'est la dernière affaire en date au Kenya, qui oppose les défenseurs de la vie sauvage aux investisseurs du monde agricole. En jeu, la quiétude d'un groupe de 2 000 éléphants du parc national d'Amboseli, au pied du versant kényan du Kilimandjaro. Selon les défenseurs de l'environnement, ils sont menacés par une plantation de 73 hectares d'avocatiers installée à proximité de la réserve. Une production industrielle qui bloquerait la transhumance des pachydermes à la recherche d'eau et de nourriture.

"Combien d'éléphants vaut un avocat ?", alertent les opposants pour mettre en évidence le sort de la faune affectée négativement à leurs yeux par le projet agricole. L’agriculture commerciale au Kenya est devenue "beaucoup plus dangereuse pour les animaux que le braconnage", dénonce Paula Kahumbu, une militante qui dirige l'ONG Wildlife Direct.

L’Autorité nationale de gestion de l'environnement (Nema) avait donné son accord à l'exploitation. Mais sous la pression des écologistes, elle a finalement ordonné le gel de l'activité. L'affaire est désormais en cours d'instruction devant le tribunal environnemental du Kenya, mais l'activité se poursuit.

Investissement opportuniste

L'investissement est bien éloigné de l'image d'une agriculture raisonnée que prône le pays, activité qui permet la cohabitation de la population et des animaux sauvages. Dans cette affaire, le terrain acheté à des propriétaires massaïs a été défriché, puis clôturé de barrières électriques afin d’empêcher justement l'accès des éléphants.

tracteur et irrigation sur  plus de 70 hectares de plans d'avocats. La ferme du groupe KiliAvo Fresh, protégée par des clôtures électriques, menace le déplacement des éléphants. (- / AFP)

Tracteurs, panneaux solaires, irrigation grâce au pompage dans la nappe phréatique, complètent le tableau. On est ici face à de l'agriculture industrielle et les initiateurs ne s'en cachent pas. Car l'avocat kényan a le vent en poupe. Déjà sixième fournisseur de l'Europe, le Kenya a vu ses exportations d'avocats augmenter d'un tiers pour atteindre 127 millions de dollars en octobre 2020, selon l'Association des exportateurs de produits frais du pays.

"Plus d'argent et moins de travail"

L'avocatier est un peu chez lui ici. Deux saisons des pluies et un ensoleillement régulier permettent deux récoltes annuelles. Les autorités ont même incité à sa culture qui offre de bons rapports sur des surfaces minimes. Au point de dispenser des cours pour parfaire la maîtrise de cette culture. "Avec le café, il y a beaucoup de travail de récolte et de préparation, mais avec les avocats c'est plus simple, c'est plus d'argent et moins de travail", se réjouissait un agriculteur à l'AFP en 2018.

Une clotûre électrique pour protéger  les champs des éléphants. La technique utilisée à la ferme de KiliAvo Fresh est largement partagée  dans le pays. (YASUYOSHI CHIBA / AFP)

Or, la survie de l'éléphant n'est pas forcément une préoccupation majeure des populations. Régulièrement, les petits agriculteurs se plaignent des dégradations des cultures qu'il provoque. Parfois, la vie des humains est même menacée, comme dans le village de Sangala, où un troupeau a tué une femme et ses trois enfants en détruisant sa maison.

Eléphants contre cultures

Le Kenya Wildlife Service (KWS) se retrouve entre le marteau et l'enclume, à devoir protéger la vie sauvage, mais aussi les populations. Alors, on multiplie les effarouchements, parfois par avion, pour déplacer un groupe trop proche des populations. On installe à grands frais des clôtures électriques pour protéger les cultures. Ainsi, il a fallu ériger une barrière de 60 kilomètres pour protéger les champs dans la région de Mucheege, au pied du mont Kenya.

Faire cohabiter la vie sauvage et l'activité humaine relève de la quadrature du cercle au Kenya. Le pays vit très largement d'un tourisme attiré par la faune sauvage. En 2019, il a généré plus d'un milliard et demi de dollars de recettes et fait vivre des milliers de Kényans. Au fil du temps, le pays s'est forgé une image de havre de paix pour les animaux menacés.

Tourisme en berne

Mais aujourd'hui, à l'heure du coronavirus, l'activité touristique n'est plus qu'une ombre. "Nous avons vu les niveaux de pauvreté grimper en flèche dans les communautés rurales, en particulier celles qui vivent à proximité de zones protégées et qui dépendent de l'économie des espèces sauvages pour leur subsistance."

Cela donne du grain à moudre à ceux qui prônent le développement de l'agriculture intensive. Selon Jeremiah Shuaka Saalash, le propriétaire de la ferme incriminée d'Amboseli, il a donné du travail à ceux qui n'en avaient plus avec l'absence de touristes. "Je défends l'idée qu'on peut coexister avec la faune et avoir une autre source de revenus", plaide-t-il à l'AFP.

Dans la région, beaucoup de terres sont à vendre. Idéal pour y développer une agriculture d'exportation. D'autant que le thé, fleuron agricole du Kenya, s'essouffle. Le pays, premier exportateur mondial de thé noir, a du mal à écouler sa production, en raison d'une baisse de la qualité et de trop gros volumes. Si le rebond agricole passe par la culture de l'avocat, les éléphants risquent d'en payer le prix.

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