Cet article date de plus de quatre ans.

En Egypte, la phobie du coronavirus empoisonne la vie des agents de santé

Surnommé "l'armée blanche de l'Egypte", le personnel hospitalier est le plus souvent héroïsé à la télévision. Mais une fois rentrés chez eux, infirmières et médecins sont parfois traités en parias, harcelés par des voisins redoutant qu'ils ne soient infectés.

Article rédigé par franceinfo Afrique avec AFP
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un soldat égyptien organise la distribution des pensions à des retraités dans le district de Shubra El Kheima, le 5 avril 2020 au Caire. Les autorités égyptiennes ont imposé la fermeture des écoles et un couvre-feu, en raison de la pandémie actuelle du coronavirus (Covid-19). (ZIAD AHMED / NURPHOTO / NURPHOTO VIA AFP)

La peur du coronavirus fait des dégâts en Egypte. Le personnel hospitalier fatigué par un travail harassant est parfois repoussé, harcelé et "marqué d’infamie" quand il rentre chez lui par peur du virus. Médecins et infirmières, aux avant-postes de l’épidémie, sont fréquemment les premières victimes du coronavirus ; mais le plus insupportable, c'est qu'ils sont également victimes de la phobie qui s’est emparée d’une partie de la  population.

"C'est comme si nous étions devenus des parias", déplore le docteur égyptien Ahmed Negm, forcé par ses voisins de déménager (dans la ville d'Ismaïlia), après des rumeurs selon lesquelles il était "infecté par le nouveau coronavirus". Le Dr Negm, 31 ans, avait choisi par précaution de s'isoler après avoir été en contact avec des personnes soupçonnées d'avoir contracté la maladie.

Bien que testé négatif, il a été victime de rumeurs sur son infection supposée dans son quartier, certains allant jusqu'à le dénoncer à la police, d'autres lui demandant de déménager, arguant qu'il y avait "beaucoup d'enfants et de personnes âgées" dans le voisinage. Et le harcèlement a continué jusqu'à ce qu'il cède.

Le poison de la peur 

Comme lui, d'autres soignants ont subi l'hostilité de la population. Les gens sont pris de panique. La semaine dernière, des villageois de la province de Daqahliya (nord) ont manifesté pour empêcher l'enterrement d'une femme médecin décédée du nouveau coronavirus. Dans un pays où les manifestations sont interdites, le gouvernement a réagi vigoureusement en arrêtant 23 personnes. Le parquet a qualifié les faits "d'actes de terrorisme". Le Premier ministre Moustafa Madbouli a déploré un incident "honteux", appelant les soignants à "ne pas tenir compte" de ces pratiques.

Une infirmière du gouvernorat de Dakhleya, testée positive en même temps que plusieurs de ses collègues, a expliqué que le groupe avait été contacté par des inconnus après la diffusion de leurs noms et coordonnées en ligne. "Beaucoup nous ont appelés pour exprimer leur soutien et prier pour nous... mais d'autres nous ont accusés de répandre le virus", a-t-elle dit d'une voix tremblante, masque sur le visage. "Nous sommes fatigués, ayez pitié", a-t-elle imploré dans une vidéo diffusée sur internet.

"Ils s'en prennent à ceux qui vont les sauver"

Dans une autre vidéo en ligne, Dina Abdelsalam, médecin à Ismaïlia, a raconté que ses voisins l'avaient calomniée après avoir appris qu'elle travaillait dans un hôpital accueillant des patients atteints du virus. Le Dr Abdelsalam avait récemment déménagé dans un nouvel appartement pour ne pas mettre en danger sa famille. Ses nouveaux voisins ayant appris où elle travaillait ont hurlé dans la rue qu'elle "apportait la maladie" dans le quartier, a-t-elle assuré. La police est intervenue et, après quelques pourparlers, les voisins ont présenté leurs excuses. "C'était inutile (...) après m'avoir traité comme suspecte (de crime)", a-t-elle réagi, avant d'ajouter : "Nous les soignants, nous souffrons (...) et vous ne faites qu'empirer notre situation."

Plusieurs autres médecins au Caire, à Alexandrie et ailleurs se sont plaints sur Facebook de refus de prise en charge de chauffeurs de taxi ou de livraisons alimentaires par peur de contagion.
"Les gens ne se rendent pas compte", dit Heba al-Feky, une pharmacienne qui a récemment été forcée de descendre d'un taxi à cause de son métier. "Ils s'en prennent à nous au lieu de renoncer à leurs habitudes qui ont plus de chances de les exposer à la maladie", déplore-t-elle.

Les pressions subies par les soignants rendent leur situation, déjà éprouvante, encore plus difficile. Cela va affaiblir notre combat contre le Covid-19 et peut s'avérer gravement préjudiciable pour le pays

Jean Jabbour, représentant de l'OMS en Egypte

Une phobie qui aggrave la situation

Face aux comportements hostiles vis-à-vis des personnels médicaux, des parlementaires envisagent une loi pour criminaliser les "brimades" dont ils sont victimes. Les personnels médicaux sont pourtant traités en héros par la presse locale qui les surnomme "l'armée blanche de l'Egypte" pour leur lutte contre le Covid-19.

A ce jour, parmi les 43 médecins ayant contracté le virus dans plusieurs hôpitaux du pays, quatre sont morts, d'après le syndicat des médecins égyptiens. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les infections de soignants constituent environ 13% des cas enregistrés en Egypte, qui a officiellement recensé plus de 3 300 cas d'infection et 250 décès.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.