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Egypte: un patrimoine archéologique en danger

Depuis 2011 et les troubles qui ont suivi la destitution du président Moubarak, les visiteurs étrangers désertent la terre des pharaons, empêtrée dans une crise économique sans précédent. En cinq ans, les revenus du tourisme ont chuté de 77%! Conséquence: le pays a les plus grandes difficultés à préserver son fabuleux patrimoine archéologique et historique.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le temple de Ramsès II à Abou Simbel en Haute-Egypte (AFP -  Josse / Leemage)

«C'est catastrophique !», diagnostique sans détour Fayza Haikal, égyptologue et professeure à l'Université américaine du Caire. Après la révolution de 2011 et à la suite de la destitution du président Hosni Moubarak, puis celle du président islamiste Mohamed Morsi en 2013, l'instabilité politique et la menace terroriste ont fait fuir les visiteurs étrangers: entre 2011 et 2016, leur nombre a chuté de 15 à 6,3 millions par an. Même si les derniers chiffres sont un tout petit moins pessimistes.

Autant d’argent en moins pour l’Egypte. Et son patrimoine. D’autant que le ministère des Antiquités est financé en partie par les billets d'entrée dans les musées et sites historiques. Donc par les touristes. En 2015, les billets d'entrée n'ont rapporté que 300 millions de livres (36 millions d’euros) contre 1,3 milliard en 2010 (206,6 millions d’euros), selon les chiffres officiels. «Depuis janvier 2011, (...) nos recettes ont fortement baissé. Et ceci a affecté fortement l'état des monuments égyptiens», constate le ministre Khaled el-Enany.

Le contexte est donc plus que morose pour les richesses du passé. Au moment où, de la pyramide de Guizeh aux temples de la haute Egypte, en passant par les édifices islamiques, chrétiens et juifs, le patrimoine égyptien nécessite des efforts de préservation permanents.

Majestueux, le Sphynx veille sur les pyramides de Guizeh (17-2-2015)... (AFP - Martin Bureau)

Détériorations tous azimuts
Les «antiquités se détériorent partout», confirme l'archéologue Zahi Hawass, ancien ministre du secteur et conseiller du ministre actuel. «Avec le manque de fonds, on ne peut rien restaurer. Regardez le musée du Caire comme il est sombre!», grimace cette très médiatique et souvent controversée sommité du monde de l'égyptologie. Selon lui, le gouvernement, à cours d'argent, est incapable de compenser la chute des recettes. D'autant qu'il lui faut payer les quelque 38.000 employés de l'administration des Antiquités: ouvriers, techniciens, archéologues, inspecteurs…

La charge est donc lourde au moment où l'Egypte connaît une croissance en berne, une spectaculaire inflation (29,6% en janvier 2017) et des pénuries de produits divers.

En attendant le retour (peu probable dans l’immédiat) des visiteurs étrangers, les autorités égyptiennes tentent de limiter les dégâts. «Pour augmenter les recettes, j'essaie de mener quelques activités supplémentaires», explique le ministre des Antiquités. Et de citer l'ouverture nocturne du musée du Caire. Ou la création de nouveaux pass annuels pour attirer davantage de citoyens égyptiens sur les sites archéologiques.

Quand on a attendu 5000 ans…
Sur le terrain, «la priorité est aux restaurations mais il y a des fouilles qui ont été arrêtées, faute de financement», déplore Mme Haikal. Elle n’en reconnaît pas moins que «les fouilles qui ont attendu 5.000 ans peuvent encore attendre»

La plupart des restaurations, elles aussi, doivent attendre. «Au minimum, on repère les édifices qui ont besoin de (réparations) et on fait le minimum pour les conserver jusqu'à une restauration convenable», explique l’égyptologue.

Egyptiens en train de prier à la mosquée Ibn Touloun au Caire le 20 juillet 2012. De style abbasside, cet édifice religieux, le plus ancien de la capitale égyptienne, a été construit de 876 à 879 de notre ère. (REUTERS - Amr Abdallah Dalsh)

Dans La Croix, la professeure à l’université du Caire Ola El Haguizy, qui fouille à Sakkara, raconte être «obligée de travailler avec (ses) propres ressources». «L’université nous alloue 350.000 livres égyptiennes (20.000 €), les ouvriers qui travaillent avec un salaire de 50 livres par jour (2,85 €) sur une saison de quatre à cinq mois», rapporte-t-elle. «Il nous faudrait un million (57.000 €) au moins pour finir. En laissant les fouilles ouvertes, les pièces (archéologiques) risquent de tomber en poussière», ajoute l’archéologue.

Dynamisme
Pour autant, certains signes permettent de nuancer un tableau assez sombre. Les tombes de Néfertari ou de Séthi Ier à Louxor viennent ainsi de rouvrir au public. Et le musée de Malawi, dans la province de Minya (centre), qui avait été pillé en 2013 au plus fort des troubles politiques, accueille aussi de nouveau les visiteurs.

«L’Egypte semble retrouver son dynamisme culturel», croit même pouvoir dire La Croix. «Les inaugurations se succèdent», poursuit le quotidien. Ainsi, le Grand musée égyptien (GME), un projet phare destiné à abriter les collections pharaoniques au pied des pyramides de Guizeh, devrait ouvrir ses portes, au moins partiellement, en 2018.

Le GME a reçu le soutien de la coopération japonaise. D’une manière générale, des missions archéologiques, étrangères ou mixtes, continuent de contribuer à la sauvegarde d'une partie du patrimoine égyptien. Parmi les partenaires: l’Unesco, le Metropolitan Museum de New York, les Emirats arabes unis.

De son côté, le musée d’art islamique du Caire a signé un accord de coopération avec le Louvre pour la formation du personnel et des expositions communes.  

Sur certains projets, les autorités égyptiennes peuvent aussi obtenir des aides internationales spéciales. Comme en 2017 pour la synagogue d'Alexandrie et le monastère chrétien Abou Mena classé au patrimoine mondial de l'Unesco.

Le masque funéraire en or du roi Toutankhamon exposé au musée du Caire (16 décembre 2015) (REUTERS - Mohamed Abd El Ghany)

«Mais tout ceci ne remplacera pas le tourisme», fait valoir Khaled el-Enany. La location d’objets archéologiques pour des expositions à l’étranger pourrait-elle une solution? «Pourquoi garder (le masque en or de) Toutankhamon au musée du Caire dans un coin sombre?», rétorque Zahi Hawass. «Toutankhamon peut rapporter de l'argent» et, en étant prêté à d'autres pays, payer les salaires du ministère «pendant 10 ans», estime-t-il. Pour autant, dans La Croix, le ministre des Antiquités est formel: «Toutankhamon ne sort pas d’ici. Certains objets de moindre importance peut-être. Mais le masque reste en Egypte!»

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