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Terrorisme ou accident : quelles pistes après le crash de l'avion russe en Egypte ?

Attentat commis par des jihadistes de l'Etat islamique, problème technique survenu en plein vol : deux hypothèses sont avancées pour expliquer la catastrophe aérienne survenue dans le Sinaï.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Des débris de l'Airbus A321 de la compagnie russe Metrojet éparpillés dans le désert du Sinaï (Egypte), le 1er novembre 2015.  (KHALED DESOUKI / AFP)

Le scénario du drame est connu. Samedi 31 octobre à l'aube, un Airbus A321-200 de la compagnie charter russe Metrojet se disloque en plein vol, 23 minutes après son décollage de l'aéroport de la station balnéaire égyptienne de Charm El-Cheikh à destination de Saint-Pétersbourg. Les débris de l'avion sont découverts dans le désert du Sinaï, éparpillés sur une vingtaine de kilomètres carrés. Parmi les 217 passagers et 7 membres d'équipage, il n'y a aucun survivant. 

Comment expliquer la pire catastrophe aérienne de l'histoire de la Russie ? En attendant que les enquêteurs égyptiens, russes mais aussi français dépêchés sur place ne fassent parler les deux boîtes noires retrouvées sur le site du crash, deux théories s'affrontent, lundi 2 novembre.

L'hypothèse de l'attaque terroriste

Les pilotes défendus par la compagnie. Pour la compagnie russe Metrojet, seule une "action extérieure" peut expliquer le crash de son avion. La "défaillance technique" et l'"erreur de pilotage" sont pour elle exclues.

Les pilotes n'ont pas "essayé d'entrer en contact radio" avec les contrôleurs aériens au sol, a assuré l'un de ses dirigeants, lundi, lors d'une conférence de presse. "Tout porte à croire que dès le début de la catastrophe, l'équipage a perdu le contrôle total", a-t-il conclu. Le commandant de bord n'a émis aucun appel de détresse avant la disparition de l'appareil des écrans radar, a également déclaré un membre de la commission qui examine les enregistreurs de vol retrouvés sur le site du crash. 

Un communiqué crédible des jihadistes. Dès samedi matin, un groupe jihadiste égyptien ayant fait allégeance à l'Etat islamique a affirmé sur Twitter avoir abattu l'avion russe. Cette filiale baptisée Wilayat Sinaï ("Province du Sinaï") dit avoir agi en représailles aux bombardements opérés par l'armée russe en soutien au régime de Bachar Al-Assad contre les bastions de l'Etat islamique en Syrie.

Le groupe est actif dans cette péninsule semi-désertique de l'est de l'Egypte. Il y commet des attentats quasi quotidiens contre l'armée et la police égyptiennes. Même si les autorités russes et égyptiennes doutent de cette éventualité, cette revendication reste "crédible" pour de nombreux spécialistes des mouvements jihadistes.

"La branche de l'Etat islamique en Egypte n'a jamais menti sur ses actions, comme d'ailleurs le groupe Etat islamique, il en va de leur crédibilité", souligne Mathieu Guidère sur TV5 Monde. "Le compte Twitter et les autres sites sur lesquels la revendication a été publiée n'ont jamais rien publié de faux. Il y a aussi la forme, classique, qui colle aux communiqués habituels de l'organisation", argumente l'islamologue. 

Un mode opératoire vraisemblable. L'Etat islamique ne possède pas les armes nécessaires pour abattre un avion de ligne à son altitude de croisière, a fait remarquer notamment le consultant Charles Lister, spécialiste du jihad, sur Twitter. Et l'appareil n'a de toute façon pas été touché de l'extérieur par un projectile, affirme un membre de la commission qui examine les enregistreurs de vol. 

Mais le journaliste David Thomson envisage un autre mode opératoire. Un passager a pu introduire une bombe dans l'avion. Pour tromper la vigilance des contrôles de sécurité à l'embarquement, le groupe jihadiste aurait pu faire appel à l'un de ses combattants de nationalité russe, nombreux dans les rangs de l'Etat islamique. Le kamikaze se serait fondu dans la masse des voyageurs rentrant chez eux en Russie. Le reporter pointe d'ailleurs la faiblesse de la sécurité dans les aéroports égyptiens.

Des indices plausibles. Le spécialiste aéronautique Michel Polacco observe, sur France Info, que la dislocation de l'avion en vol et la large dispersion des débris corroborent l'hypothèse de l'attentat. "Cela ne peut provenir que d'une grave atteinte de la structure de l'avion", explique-t-il. Celle-ci "peut être due à des causes techniques, mais c'est très peu probable, cela s'est rarement produit", assure-t-il. Il conclut : "Cela nous amène donc à la piste terroriste, la piste d'une bombe qui peut avoir ce genre d'effets."

Des militaires égyptiens sur le site du crash de l'Airbus A321 de la compagnie russe Metrojet dans le désert du Sinaï (Egypte), le 1er novembre 2015.  (KHALED DESOUKI / AFP)

Une perspective inquiétante, juge Alain Rodier, directeur adjoint du Centre français de recherche sur le terrorisme (CF2R), pour 20 Minutes. "Si c’est vraiment l’Etat islamique, les jihadistes prouveraient qu’ils ont désormais la capacité opérationnelle d’organiser ce type d’actions, alors que la piraterie aérienne était jusqu’à présent l’apanage d'Al-Qaïda." Plusieurs compagnies aériennes, dont Air France, Lufthansa et Emirates, ont d'ores et déjà annoncé qu'elles ne survoleraient plus le Sinaï "jusqu'à nouvel ordre", "par mesure de sécurité".

L'hypothèse de l'accident

Des inquiétudes de l'équipage. Plusieurs déclarations viennent étayer l'hypothèse d'un incident technique survenu à bord de l'avion en plein vol. Durant la semaine précédant le drame, l'équipage a signalé à plusieurs reprises aux services techniques que le moteur de l'avion avait des défaillances lors du démarrage, assure une source interrogée par l'agence russe Ria Novosti à Charm El-Cheikh et reprise par Le Figaro. La femme du copilote, citée par la BBC (en anglais), affirme, elle, que son mari s'était plaint du mauvais état de l'appreil, au cours d'une conversation téléphonique avec sa fille, avant le décollage. 

Pendant le vol, le commandant de bord a également déploré une défaillance technique des équipements de communication, avance un responsable de l’autorité égyptienne de contrôle de l’espace aérien, repris par Le Monde.

Plusieurs défaillances techniques plausibles. En 2001, l'appareil de Metrojet avait été accidenté. Sa queue avait heurté le sol lors d’un décollage. L'accident avait entraîné de lourdes réparations qui pourraient avoir eu de terribles conséquences, estime le Guardian (en anglais). "Au moins une catastrophe aérienne, le crash d’un avion de la Japan Airlines, a été imputée à ce type d’incident survenu sur la queue des années plus tôt", relève le quotidien britannique.

"Un moteur qui explose, un problème de chargement en soute... Il y a plusieurs cas de figure où se produit un gros problème en vol, et l'avion se désintègre avant d'arriver au sol, sans que ce soit un attentat", indique l'expert aéronautique Robert Galan sur TV5 Monde. Toutefois, "une explosion en vol de l'avion qui soit liée à une cause interne est quand même très peu probable", relativise Jean-Paul Troadec, ex-directeur du Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) pour la sécurité de l'Aviation civile.

Un morceau de la carlingue de l'Airbus A321 de la compagnie russe Metrojet disparus sur le site du crash dans le désert du Sinaï (Egypte), le 1er novembre 2015.  (KHALED DESOUKI / AFP)

Un avion peut-être trop vieux. Metrojet a assuré dans un communiqué que son appareil avait subi un contrôle technique complet en 2014. Son Airbus était donc, selon la compagnie, "en excellent état technique".

Reste qu'en Russie, la durée d’exploitation des avions est depuis longtemps pointée du doigt, observe Le Figaro. L'âge moyen des appareils civils russes est de 21 ans, contre 13 aux Etats-Unis. Un projet de loi entend d'ailleurs interdire l'exploitation des appareils de plus de 15 ans, note 20 Minutes. L'Airbus de Metrojet, lui, volait depuis plus de 18 ans.

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