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La colère des Africains piégés dans des villes plongées dans l’obscurité
C’est un phénomène devenu récurrent à travers l’Afrique. «Le délestage électrique» ne laisse aucun choix aux populations qui sont brutalement et quotidiennement plongées dans le noir. Des pays entiers tournent au ralenti sur un continent qui regorge pourtant de ressources énergétiques. Comment sortir de l’impasse? GéopolisAfrique a posé la question à Mays Mouissi, analyste économique gabonais.
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Certains n’arrivent plus à contenir leur colère. Ils descendent dans la rue pour appeler leurs dirigeants au secours. C’est ce qu’ont essayé de faire des centaines de jeunes Guinéens de la ville minière de Sangareti, dans le nord-ouest du pays, le 10 novembre 2017. Les affrontements violents qui ont éclaté avec la police ont fait deux blessés parmi les manifestants.
«C’est un vrai cauchemar pour les populations. Que l’on soit en Afrique ou en Occident, l’eau comme l’électricité sont le fondement de notre modèle de vie. A partir du moment où on est durablement privé de ces ressources, ça impacte la vie de la société parce que ça change le fonctionnement de la cellule familiale au plus petit niveau de la société», explique à GéopolisAfrique, Mays Mouissi, analyste économique gabonais.
Quand l'Afrique «rame à contre-courant du progrès»
Dans de nombreuses villes africaines, les populations n’en peuvent plus. Elles sont excédées par ce qu’on appelle communément des «délestages électriques» qui empoisonnent leur quotidien.
«S’il n’y a pas d’électricité, nous ne pouvons même pas souder un fil», se plaint un Guinéen. «Quand ils coupent le courant à 8 heures, nous ne faisons rien toute la journée à part regarder l’atelier», lâche-t-il, résigné, sur le site d’information guinéen Aminata.
«Ca coupe tout le temps. On ne sait plus quoi faire», fulmine également un habitant de la capitale malgache au micro de RFI.
Du boulanger au bureaucrate, en passant par le vendeur à la sauvette et le capitaine d’industrie, nul n’échappe aux méfaits du délestage, constate l’économiste béninois Roch Nepo. Il dénonce un phénomène qui condamne le continent à «ramer à contre-courant du progrès».
L’on comprend aisément que les investisseurs étrangers ne prennent pas le risque de s’aventurer dans des pays dépourvus d’énergie.
«Il faut bien comprendre qu’un certain nombre d’industries ont besoin pour fonctionner de consommer beaucoup d’énergie. C’est le cas par exemple de la sidérurgie et des grandes industries de transformation», explique Mays Mouissi.
600 millions d'Africains privés d'électricité
En raison du déficit énergétique qu’ils accusent, les pays africains sont condamnés à exporter leurs abondantes ressources naturelles à l’état brut. Sans aucune valeur ajoutée, regrette-t-il.
«Même en incluant les barrages en cours de construction sur le continent comme le grand barrage de la renaissance en Ethiopie ou le grand projet du barrage Inga 3 au niveau de l’Afrique centrale en RDC, on se rend bien compte que la mise en service de ces barrages dans un proche avenir ne résoudra pas le déficit énergétique. Ils permettront de réduire juste une partie du déficit alors que la population africaine ne cesse de croître et, avec elle, les besoins en énergie.»
Mays Mouissi note qu’en 2015, la production électrique de toute l’Afrique était estimée à 120GW, soit à peine l’équivalent de celle de l’Allemagne. Plus de 600 millions d’Africains étaient toujours privés d’électricité. C’est la moitié des habitants du continent.
Comment dès lors sortir de l’impasse? Mays Mouissi estime qu’on ne peut plus penser aujourd’hui à une électrification du continent africain en raisonnant par des politiques nationales.
«Ce que je préconise, c’est que les Africains raisonnent ensemble pour collectiviser leurs besoins en matière énergétique et trouver des solutions collectives à ces besoins. Une mutualisation des moyens, une mutualisation des projets et une mutualisation de la recherche des financements. Parce que l’électricité a ceci de particulier que la production électrique nécessite beaucoup d’argent. C’est quelque chose qui coûte cher.»
«Des plans imposés à l'Afrique qui n'ont jamais marché»
Je ne pense pas, explique Mays Mouissi, que la solution pour l’électrification de l’Afrique passe nécessairement par l’utilisation d’acteurs politiques européens, à l’instar de la Fondation pour l’énergie en Afrique initiée par l’ancien ministre français Jean-Louis Borlo.
«La Fondation pour l’énergie en Afrique est de mon point de vue une fumisterie, qui sert à sortir parfois l’argent des caisses des dirigeants pour des projets qui ne sont pas viables… ces plans construits on ne sait où qu’on veut imposer à tout un continent, ça n’a jamais marché depuis les années 1960.»
Mays Mouissi souhaite que l’Afrique se mobilise enfin pour trouver, elle-même, la solution à son déficit énergétique. Le continent dispose d’ingénieurs spécialisés dans ce domaine, note-t-il, et regorge de ressources énergétiques aussi bien fossiles que renouvelables.
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