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Afrique: la stratégie des entreprises françaises doit être «afro-réaliste»

«Afro-réalisme». C'est le mot qui doit régir la stratégie économique des entreprises françaises si elles veulent profiter des nombreuses opportunités qu'offre l'Afrique subsaharienne, selon un rapport publié en septembre 2017 par l'Institut Montaigne. Entretien avec Jean-Michel Huet, coprésident du groupe de travail qui a produit le document.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
Drapeau français parmi des drapeaux africains et européens (NICOLAS ASFOURI / AFP)

Etait-il nécessaire de rappeler aux acteurs économiques français que le continent africain est une terre d’opportunités?
Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait encore beaucoup d’idées reçues autour de l’Afrique, aussi bien du côté des pouvoirs publics que des entreprises. Cette étude vise à les battre en brèche.

Par ailleurs, l’Afrique a été négligée sur le plan économique durant les deux précédents quinquennats. Nous abordons un nouveau quinquennat et les sujets appréhendés s'envisagent sur le long terme. C'est pourquoi, nous avons pensé qu'il serait judicieux de faire des propositions concrètes dès maintenant aux pouvoirs publics. 

Par exemple, les entreprises françaises nous disent que l'Afrique manque de techniciens qualifiés, à savoir des gens qui ont le niveau bac+2, bac +3. Il est donc logique de suggérer que l’aide au développement prenne en compte cette dimension.

En somme, il ne faut être ni afro-pessimiste ni afro-optimiste mais afro-réaliste. C’est-à-dire trouver le juste milieu, car l'Afrique est un continent d’opportunités: la population africaine va doubler dans les vingt prochaines décennies. De même, il y aura 500 millions d’Africains en plus sur le marché du travail sur la même période. Le continent va devenir la première zone d’emplois au monde, devant la Chine, l’Inde… L'opportunité est formidable mais elle n'est pas sans risque.  


Jean-Michel Huet, coprésident du groupe de travail qui a travaillé sur le rapport «Prêts pour l'Afrique d'aujourd'hui?» publié par l'Institut Montaigne en septembre 2017 (DR)

Quels sont les risques qui rebutent le plus les entreprises françaises en Afrique? 
D'abord, il faut dire que les entreprises les mesurent assez bien et ceux qui sont souvent médiatisés – politiques et sanitaires – ne sont pas les plus graves pour elles. Elles savent les gérer. Par exemple, les Français n’ont pas fui les pays où l’épidémie d’Ebola faisait rage, il y a trois ans, contrairement aux entreprises chinoises.

Les acteurs économiques français sont plus préoccupés par l’instabilité juridique et fiscale. Pourront-elles défendre leurs intérêts devant un tribunal local s’il y a un problème? En matière de fiscalité, elles craignent les pays qui sont très imaginatifs en la matière. Le Niger crée chaque mois de nouveaux impôts alors que le Mali est fiscalement stable depuis des années.

Le risque monétaire a été aussi souvent cité dans notre enquête. Il est lié aux taux de change fluctuants et à la capacité de sortir des liquidités d'un pays. Sur les deux dernières années, les entreprises qui faisaient des affaires en Egypte ou en Afrique du Sud ont subi la forte dépréciation des deux monnaies. Et aujourd’hui, des millions d’euros d’entreprises françaises sont coincés en Angola depuis l’effondrement du cours du pétrole parce qu’il n’y a plus d’euros, plus de dollars... Le pays manque cruellement de devises étrangères dont le pétrole est une source.

Il faut néanmoins rappeler qu’il y a des domaines où l’Afrique est le continent qui présente le moins de risques. Par exemple, en matière de catastrophes naturelles: tremblements de terre, typhons… Il n’y en a quasiment pas sur le continent.

  («Prêts pour l'Afrique d'aujourd'hui?» (Institut Montaigne))


A quoi tient le recul des parts de marché des entreprises françaises en Afrique subsaharienne?
Historiquement, les Français ont investi l’Afrique alors que très peu de gens y allaient. Mais depuis vingt ans, sont arrivés d’autres interlocuteurs, notamment la Chine, l'Inde, le Brésil et la Turquie, avec pour certains des zones d'influence. Par exemple, les pays lusophones et la côte Ouest pour le Brésil, l'Afrique du Nord pour la Turquie. La Chine est de loin le premier pays non-africain à investir sur le continent. La précision est importante dans la mesure où les premiers investisseurs en Afrique sont les Africains eux-mêmes.
 
Que faut-il comprendre par le discours de «restart» que vous prônez dans le rapport? 
Nous n’avons malheureusement pas trouvé mieux que cet anglicisme pour dire qu’il faut arrêter de regarder ce qui s’est passé il y a 50 ans et se tourner vers l'avenir. C'est ce qui ressort de nos entretiens avec la jeune génération de dirigeants africains et français que nous avons rencontrés et qui constituent la majorité de nos interlocuteurs. Il faut libérer les entreprises françaises de la charge historique qui pèse sur elles. 

Et qui doit faire ce travail: l’Etat, les entreprises?
Le groupe d’individus qui n’a pas encore compris cela, ce sont les pouvoirs publics français. Sur le terrain, les entreprises privées et même les dirigeants politiques africains sont plutôt préoccupés par des problématiques liées à l’éducation, à l'alimentation et à l'emploi.
 
Que pensez-vous du Conseil mis en place par le président Emmanuel Macron?
Il y a une vraie compréhension au niveau de l’Etat du fait qu’il y a des choses à faire en Afrique, même si ce n'est pas le continent qu’Emmanuel Macron connaît le mieux. L’établissement de ce Conseil est une indication de l'intérêt de la France pour un continent qui, encore une fois, a été négligé par les deux précédents hôtes de l’Elysée. 

Emmanuel Macron, sans être un afficionado de l’Afrique, comprend qu’il y a des enjeux économiques, sécuritaires, sociaux… D’autant que c’est également la vision allemande. Au niveau européen, le Brexit a changé la donne parce que jusqu’ici l’Afrique était l’affaire de la France et de la Grande-Bretagne. A l’instar de la crise migratoire, qui ne concerne pas que l’Afrique, mais qui a sensibilisé les pouvoirs publics allemands à l’importance du continent.

La KfW, la banque allemande de développement, souhaite désormais financer massivement des projets liés aux questions migratoires, y compris ceux liés à la manière de permettre aux migrants de rester chez eux. La chancelière Angela Merkel a désormais un tropisme africain. L’axe africain qui était historiquement un Paris-Londres va devenir un Paris-Berlin. C’est une bonne nouvelle parce que les Anglais ont toujours du mal à mettre la main à la poche alors que les Allemands savent donner quand il faut et ils ont moins d’état d’âme que les Français.

La France a un rôle à jouer – entreprises et pouvoirs publics – en tirant l’Europe vers l’Afrique. Et notamment son partenaire allemand.
 
Vous proposez la création d’une banque française de l’export. Est-il vraiment nécessaire d’enrichir le dispositif impressionnant déjà existant pour aider les entreprises françaises à exporter?
Il n’existe pas en France, comme en Chine, une vraie banque de l’export. Cette dernière aiderait les entreprises françaises ou européennes à financer de grands projets en faisant du crédit acheteur remboursable dans dix ans. Quand les Chinois décrochent de gros contrats, ce n’est pas sur la qualité de ce qu’ils font, c’est souvent parce qu’ils disent aux décideurs que ce sont leurs successeurs qui paieront dans dix ans. 

La logique du guichet unique facilitera la tâche aux petites structures si elles veulent se développer en Afrique. La quasi-totalité des instruments financiers existent mais il est difficile pour une petite structure de trouver le bon interlocuteur.
 
Autre proposition: faciliter la délivrance de visas économiques et étudiants afin de multiplier les opportunités pour les Africains en France...
Des neuf propositions que nous avons faites, c’est peut-être la première qui pourrait être mise en œuvre. Elle a reçu un très bon accueil. Il faut préciser que ce sont des visas qui seront octroyés à des personnes qui ont des emplois, ou à des étudiants pour continuer ou finir leurs études, et qui retourneront ensuite dans leurs pays.  

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