Atlas historique de l'Afrique : l’histoire de ce continent "ne rentre pas dans les découpages chronologiques que nous connaissons"
Comment résumer l'histoire de cet immense continent qu’est l'Afrique, de l'apparition de l’homo sapiens au phénomène migratoire contemporain, en 95 pages et une centaine de cartes ? Gageure réussie par l'"Atlas historique de l’Afrique", édité chez Autrement.
Continent immense, l'Afrique n’a pas une seule histoire. Mais de multiples histoires que raconte l’Atlas historique de l’Afrique – De la préhistoire à nos jours. La rédaction de l’ouvrage a été dirigée par François-Xavier Fauvelle, titulaire de la chaire Histoire et archéologie des mondes africains au Collège de France (et qui tenait sa leçon inaugurale le 3 octobre 2019), et Isabelle Surun, professeure en histoire contemporaine à l'université de Lille. Isabelle Surun a répondu aux questions de franceinfo Afrique.
Franceinfo Afrique : qu'est-ce qui caractérise l’histoire – les histoires –, de l’Afrique ?
Isabelle Surun : la continuité qu’on y observe n’a pas la même temporalité qu’en Europe. Il faut ainsi sortir d’une vision eurocentrée. L’histoire africaine ne rentre pas dans les découpages et césures chronologiques que nous connaissons. La période de l’Afrique ancienne s’étend ainsi de la Préhistoire jusqu’au XVe siècle dans certaines régions. Elle peut même déborder jusqu’au XIXe pour certains royaumes.
Un autre élément caractéristique de l’histoire de l’Afrique, c’est la diversité, par exemple, des organisations socio-politiques. Les Etats constitués sous forme de royaumes peuvent ainsi coexister avec des chefferies ou des sociétés organisées sous forme de classes d’âge.
L'Afrique a toujours été très ouverte sur le monde. On est frappé par ses contacts tous azimuts au fil du temps avec les mondes antiques (Phéniciens, Grecs, Romains), arabe, ottoman, indien, chinois, européen…
Il faut revenir sur l’idée reçue, répandue notamment par des géographes allemands au XIXe, d’un continent coupé du monde et vivant en vase clos. Dans l’ouvrage, nous insistons sur les moments et les espaces de connexion. On pourrait imaginer que le Sahara et la forêt équatoriale ont constitué des obstacles physiques pour les relations à l’intérieur de l’Afrique. Mais le premier n’a jamais été une barrière aux échanges économiques et culturels. Pas plus que la seconde n’a empêché la diffusion de la métallurgie du fer et des langues bantoues. Dans le même temps, l’Afrique de l’Est a entretenu des relations avec l’Inde, la Chine…
Dans le Sahara, certaines oasis et villes constituaient des lieux de contact cosmopolites où s’échangeaient les marchandises. Sur les côtes, c’était le rôle des comptoirs swahilis à l’est du continent. A l’ouest, des sites comme Elmina, établissement portugais et première forteresse européenne en Afrique tropicale, avaient la même fonction. Les Européens y négociaient leur présence avec des souverains africains à qui ils payaient des tributs.
Cela paraît surprenant quand on pense aux millions d’esclaves emmenés outre-Atlantique par la traite et qui partaient de ces comptoirs…
Surprenant, oui, si l’on assimile traite et colonisation. Dans ces comptoirs, les Européens apportaient des pacotilles, des armes à feu, aides pour certains royaumes qui pouvaient ainsi mener des razzias, faire des prisonniers de guerre... De leur côté, les Africains échangeaient, selon les périodes, des épices, de l’or, des esclaves. Car on trouve aussi des esclaves dans les sociétés africaines. Et la traite a également concerné l’est de l’Afrique et les réseaux transsahariens.
Quelles ont été les conséquences à long terme de ce phénomène sur l'Afrique subsaharienne, devenue au XIXe "un marché aux esclaves mondial", selon votre atlas ?
Elle est effectivement devenue un marché aux esclaves mondial à l’époque où la traite atlantique était en train d’être abolie par les Européens. Pour autant, le phénomène n’a pas cessé. La traite est devenue clandestine et a continué durant toute la première moitié du XIXe jusque vers 1860.
En ce qui concerne les effets du phénomène, son poids démographique en volume est assez bien quantifié pour la traite atlantique, dans la mesure où l’on dispose de nombreuses sources écrites. Plus concentrée dans le temps que la traite transsaharienne et orientale, elle a représenté une ponction démographique importante. La quantification est plus difficile à faire pour les trafics d’esclaves à l’intérieur et à l’est du continent, qui ont duré plus longtemps dans le temps, mais dont les ponctions ont été moins importantes.
La traite a aussi reconfiguré l’orientation des échanges commerciaux et la carte politique de certaines régions. Les royaumes du Dahomey (actuel Bénin) et d’Ashanti (actuel Ghana), intermédiaires des compagnies européennes impliquées dans la traite des esclaves, ont ainsi pu construire des Etats puissants.
Dans votre ouvrage, on est frappé par l’importance de l’islam… Quel rôle a finalement joué cette religion ?
Tout dépend de l’époque. La religion musulmane est arrivée au sud du Sahara par les routes transsahariennes et le commerce dès les VIIe-XIIe siècles de notre ère. Mais à cette époque, elle était très circonscrite, notamment dans les quartiers de marchands dans les villes. Ensuite, dotée d’un certain prestige, elle est devenue la religion des élites. Au XIVe, le roi du Mali, Mansa Moussa, séjourne ainsi au Caire avant de se rendre à La Mecque en pèlerinage.
Par la suite, on assiste à une massification, mouvement qui s’intensifie au XIXe, avec l’apparition de confréries religieuses moins élitistes. L’islam est ainsi à l’origine de bouleversements politiques avec des révolutions populaires anti-aristocratiques comme dans le califat de Sokoto (nord de l’actuel Nigeria), plus grand Etat d’Afrique au XIXe siècle, fruit d’un jihad entre 1804 et 1810. Admirateurs de cette organisation, les colons britanniques ont laissé en place ses structures administratives.
La religion musulmane a aussi servi de liens sociaux à des réseaux économiques. En Afrique de l’Ouest, les marchands dioulas pouvaient ainsi être accueillis un peu partout. Sous la colonisation, l’islam n’a pas disparu. Les Européens ont ainsi cherché à créer des liens avec les confréries.
Vous expliquez que "victime d’une prédation brutale" à l’époque de la colonisation, l’Afrique "ne fut guère mise en valeur". Pourquoi ?
Effectivement, les Européens n’ont pas tellement investi dans le développement de leurs possessions africaines. Les colonies de peuplement étaient des exceptions. Il y a ainsi eu l’Algérie, l’Afrique du Sud, la Rhodésie (actuel Zimbabwe), les environs de Nairobi (Kenya). Autant de zones où le climat, l’altitude, la pluviométrie leur permettaient d’habiter.
Ailleurs, les colons étaient assez peu nombreux. Il n’y a pas eu de déversement de capitaux, sauf au Congo belge et en Afrique australe, là où l’on trouve des richesses minières. On a bien construit des lignes de chemins de fer pour drainer ces dernières vers les côtes. Mais on n’a pas cherché à mener un développement économique concerté.
Pourtant, au début, les Européens voyaient le continent comme un eldorado, on en parlait avec fièvre. Mais ce sentiment a fait place à la désillusion. Les expositions coloniales n’ont pas suffi à attirer des colons. Etrangement, c’est à partir des années 1940 que l’on s’est mis à investir dans les territoires africains. C’était une réponse à la remise en cause du colonialisme par les mouvements et leaders nationalistes depuis les années 1930.
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