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Abus sexuels: des fillettes enceintes par milliers dans les écoles ivoiriennes

Certaines fillettes sont à peine âgées de 9 à 14 ans. Elles représentent le quart des 4471 cas de grossesses de moins de 25 ans enregistrées depuis la rentrée scolaire de septembre 2016 dans les écoles de Côte d’Ivoire. Le président de SOS violences sexuelles, le docteur Kouakou Ossei, explique à Géopolis le traumatisme vécu par ces jeunes mères parfois rejetées par leurs familles.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Dans une école primaire de Bouaké en Côte d'Ivoire. (Photo AFP/Issouf Sanogo)

Le président de l’ONG ivoirienne SOS violences sexuelles parle d’un phénomène enraciné dans la société ivoirienne depuis longtemps. Si la majorité des victimes sont des mineures, les auteurs de ces abus sont souvent des adultes, témoigne le Dr Kouakou Ossei.
 
«Ces abus sont commis en partie par les éducateurs, c'est-à-dire les professeurs et par des élèves. Mais la grande partie est le fait de personnes extérieures au milieu scolaire. Des gens de la ville qui exercent de petits métiers et qui font miroiter des biens matériels ou de l’argent contre des rapports sexuels.»
Le docteur Kouakou Ossei est psychologue et président de l'ONG ivoirienne SOS violences sexuelles. (Photo/SOS V.S)

Seules en ville, loin de leurs familles
Le Dr Ossei observe que les victimes de ces abus sont généralement des fillettes issues de familles modestes, pauvres ou très précaires. Elles sont la cible facile des prédateurs sans scrupules qui abusent de leur vulnérabilité.
 
«Lorsqu’elles se retrouvent à l’école, elles sont parfois loin de leurs parents. Seules dans des villes, elle se louent ensemble un appartement. Et vous voyez des jeunes filles de neuf, dix, onze, treize ans, ainsi regroupées. La tentation est trop grande, surtout quand les parents ne leur apportent pas de moyens de subsistance. Des personnes mal intentionnées leur proposent souvent des miettes pour abuser d’elles. Elles finissent par tomber enceintes et abandonnent leurs études.»
 
Le phénomène des grossesses non désirées en milieu scolaire n’a cessé de prendre de l’ampleur en Côte d’Ivoire. Certaines ONG n’hésitent pas à parler d’un véritable problème de santé publique. Et pour cause. Non seulement il participe à la déscolarisation des enfants, mais il expose aussi des milliers de fillettes à des complications médicales, en raison de l’immaturité de leurs organes reproductifs.
 
«Généralement, les filles qui sont concernées rentrent à peine dans l’adolescence. Leurs organes reproductifs ne répondent pas facilement à l’accouchement, ce qui entraîne souvent des complications, voire la mort de certaines d'entre elles lors de l’accouchement. Elles ne peuvent pas accoucher normalement parce qu’elles sont très jeunes. Elles tombent enceintes au moment où elles entrent à peine dans leur puberté. Les complications sont inévitables.»
 
«L’enfant va naître sans père»
Ces fillettes surprises par des grossesses précoces vivent souvent un calvaire dans une société qui les rejette. Le Dr Kouakou raconte à Géopolis comment ces victimes très fragiles se retrouvent souvent seules pour affronter ce drame.
 
«La première réaction d’une jeune fille qui se retrouve dans cette situation, c’est de tenter un avortement. Alors que c’est interdit. Elle va se cacher. Quelquefois, elle peut être chassée de la maison. Ce qui la traumatise. Elle a même du mal à désigner l’auteur. L’enfant va naître sans père. Et si les parents ne sont pas solidaires et qu’ils ne comprennent pas, ça renforce le degré de traumatisme de la jeune fille qui se retrouve toute seule sans savoir quoi faire».
 
Kouakou Ossei explique que la question du sexe reste un sujet tabou dans la culture ivoirienne. Les gens n’arrivent pas à parler d’éducation sexuelle, que ce soit en famille ou à l’école.
 
Les prédateurs jouissent d’une totale impunité
Les tabous qui pèsent sur ces pratiques favorisent l’impunité. La plupart du temps, les abus ne sont pas dénoncés par les victimes, regrette le président de SOS violences sexuelles.
 
«Souvent l’information n’est pas portée à la connaissance de l’autorité judiciaire. Et lorsque certains désirent saisir la police de tels abus, la communauté fait pression et l’affaire est étouffée. Les parents essaient de régler la question à l’amiable pour ne pas jeter l’opprobre sur toute la famille. Les auteurs s’en tirent donc sans sanctions. Pour les rares affaires qui arrivent devant les tribunaux, nous encourageons ceux qui les déposent pour qu’ils aillent jusqu’au bout.»
 
Pour éradiquer ces abus sexuels devenus une pratique courante dans le pays, les autorités ivoiriennes, avec l’aide d’ONG comme SOS violences sexuelles, mènent une campagne de sensibilisation de la population. Le ministère ivoirien de la santé publie régulièrement des rapports sur la question.
 
Des filles abandonnées très tôt par leurs parents
Le Dr Ossei insiste particulièrement sur le rôle des parents qui doivent s’impliquer activement dans l’éradication de ce fléau.
 
«Les parents ont tendance à abandonner très tôt les jeunes filles à leur sort en prétextant le manque de moyens. Elles sont obligés de se débrouiller toutes seules. Parce qu'une famille qui n’assume pas ses responsabilités, qui abandonne sa jeune fille de douze ans, de treize ans à son sort, sans lui donner de moyens, c’est une manière de l’exposer à ce milieu de violence et d’abus. Et il faut aussi des sanctions sévères pour dissuader les auteurs de ces abus», insiste-t-il.
 

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