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Biens mal acquis : "Nous avons toujours trouvé collectivement les ressources pour mener le combat", explique Antoine Dulin

Au terme d'un long procès qui a démarré en 2017, le vice-président équato-guinéen Teodoro Nguema Obiang Mangue, alias Teodorin, sera fixé sur son sort le 28 juillet 2021 dans l'affaire des biens mal acquis.

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Une photo prise le 25 juin 2013 montre Teodorin Nguema Obiang (à droite), fils du président de la Guinée équatoriale Teodoro Obiang et vice-président en charge de la sécurité et de la défense, arrivant à la Cathédrale de Malabo pour célébrer son 41e anniversaire. (JEROME LEROY / AFP)

Antoine Dulin est le principal auteur du rapport publié en 2007 par l'ONG française CCFD-Terre solidaire qui a permis de lancer, en 2017, cette longue procédure judiciaire dans l'affaire dite des "biens mal acquis". Elle connaîtra son épilogue le 28 juillet 2021 avec l'arrêt de la Cour de cassation. Entretien avec Antoine Dulin, aujourd'hui conseiller au cabinet du président de Lyon métropole.

Franceinfo Afrique : Le rapport de 2007 sur les biens mal acquis, sur lequel vous avez travaillé pendant votre stage au CCFD-Terre Solidaire, est à l'origine de cette longue bataille judiciaire. Vous vous retrouvez à la veille d’un processus quasiment historique pour plusieurs raisons. Outre l’enjeu judiciaire inhérent à ce procès, l’affaire a permis à la France de se doter d’un mécanisme de restitution de ces biens mal acquis. Que ressentez-vous au terme de cette épopée judiciaire ?

Antoine Dulin : Ce mois de juillet 2021 est comparable à celui de 2007. C’est en été que nous avons commencé à travailler sur le rapport des biens mal acquis. Juillet 2021 sera historique : d’abord du fait de cette décision de la Cour de cassation qui, nous l’espérons, va mettre fin et condamner définitivement le premier des dirigeants impliqués dans cette affaire. Ensuite avec l’adoption du projet de loi – une grande avancée d’un point de vue légal et législatif au niveau français , avec cette capacité de restitution qui va être donnée à l’AFD (Agence française de développement) en lien avec les sociétés civiles des pays concernés pour restituer les biens aux populations spoliées.

Qu'est-ce que je ressens ? Je me dis à la fois "quel chemin parcouru depuis quatorze ans" et en même temps, "ce n’est que le début parce que nous sommes sur la première affaire des biens mal acquis et qu’il y en a d’autres". Cette saga a connu plusieurs étapes et nous en franchissons une de plus, qui montre que le combat initié il y quatorze ans était digne. D'autant plus que nous avons eu des détracteurs qui depuis le début, soit par la menace physique ou verbale, soit par des propos injurieux – je rappelle que nous avons été poursuivis en diffamation –, ont voulu démontrer que c’était une "cabale des Blancs contre les Noirs" sous couvert de néocolonialisme et de racisme. Ce sera la reconnaissance du travail que CCFD-Terre Solidaire et Transparency International ont fait et, surtout, celui que la société civile des pays spoliés fait souvent dans l’ombre et sous la menace, et qui permet d’aboutir à des condamnations de ce type. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, à la fois sur d'autres affaires mais aussi sur la capacité  c’était notre souhait dans l’affaire Obiang mais nous n’y sommes pas arrivés – à pouvoir inquiéter et condamner ceux qui ont facilité et qui facilitent ce pillage, notamment les intermédiaires financiers, les banques, les avocats et autres notaires.

La prochaine étape pour vous serait de pouvoir rendre pénalement responsables tous ces intermédiaires…
On peut les rendre pénalement responsables mais l’enjeu aujourd’hui est qu’ils puissent être poursuivis et condamnés. Cela a commencé dans l’affaire Bongo, étant donné que la BNP Paribas a été mise en examen. Maintenant, il faudrait arriver à une condamnation. Je ne sais pas si c‘est la prochaine mais il reste en tout cas des étapes. Au-delà de Teodoro Obiang, vice-président de la Guinée equatoriale, il faut qu'il y ait poursuites et condamnations dans les autres pays sur lesquels il y a des enquêtes en cours. Je pense au Gabon, au Congo-Brazzaville et aux pays d’Afrique du Nord. Mon souhait, c’est que l’on puisse aller plus loin pour remonter la chaîne des responsabilités et ainsi poursuivre et condamner les intermédiaires financiers qui favorisent cette impunité.

En 2017, vous évoquiez déjà la diligence dont avait fait preuve la société civile africaine pour permettre de porter ces affaires devant la justice. Que diriez-vous encore aujourd’hui de sa réactivité ?
C’est à elle que l’on doit tout ce combat. Il n'aurait pas pu être engagé sans cette société civile africaine, ces lanceurs d’alerte qui sont menacés parfois dans leurs pays pour leurs actions et leurs prises de parole et le courage qu’ils ont à dénoncer des faits de corruption. C’est grâce à eux que peut émerger le travail mené aujourd’hui par la société civile française et d’autres ONG au niveau international. C’est à eux que revient tout le mérite. Ils prennent le risque de se mobiliser sur ces questions. D'autant qu'ils font les frais au quotidien de cette corruption, de ces détournements de fonds publics puisque ces ressources ne bénéficient pas aux services de santé ou d’éducation. J’ai envie que cette condamnation, que l’on espère mercredi (28 juillet 2021), soit aussi un signal pour leur montrer que l’impunité, même si elle ne peut pas être punie dans leur pays parce que le système judiciaire est parfois corrompu, elle peut l’être dans des pays amis où la justice est indépendante.

La Grande-Bretagne vient encore de sanctionner Teodoro Nguema Obiang Mangue pour des agissements similaires. C’est une confirmation de plus pour vous…
On le voit bien, ce n’est pas qu’un cas français et nous ne sommes pas dans une affaire diplomatique entre la France et la Guinée équatoriale. Le pillage est aussi reconnu par d’autres pays comme le Royaume-Uni, et la Suisse auparavant. Je me réjouis que cette dynamique de lutte contre les biens mal acquis puisse s’étendre à travers l’Europe et le monde, et qu’il y ait simultanément des condamnations qui vont contraindre, nous l'espérons, un nombre de régimes politiques corrompus qui ont pillé leurs populations à devoir rendre des comptes et l’argent.

Espérez-vous que cette concomitance des condamnations crée un sursaut au niveau européen dans la lutte contre les biens mal acquis et ce type de corruption ?
Le sursaut, il ne le faut pas juste au niveau européen mais à l’échelle mondiale. D’autant plus que le Royaume-Uni n’est plus membre de l'Union européenne. Il faut que le message envoyé à ces régimes-là soit le suivant : "Pas dans notre pays et pas dans notre monde." C’est pourquoi il est intéressant de travailler avec une société civile internationale sur ces enjeux-là.

Antoine Dulin est le co-auteur de l'enquête de l'ONG française CCFD-Terre solidaire, à l'origine de l'affaire des bien mal acquis.  (AD)

Vous avez écrit le rapport en 2007. Le procès s’est ouvert en 2017. L’ensemble du processus s’étend sur quatorze ans. Pensez-vous, notamment par le biais de la coopération internationale, que ces délais pourront être réduits ?
Aujourd’hui, oui ! Avec le procès Obiang et l’affaire des biens mal acquis, nous avons, en quelque sorte, défriché le terrain. Il y a eu un certain nombre de procédures, y compris la Cour de cassation, qui ont permis, entre autres, de reconnaître les associations comme capables d’agir en justice, ce qui n’était pas le cas. Après, on sait bien que les procès pour corruption, y compris ceux impliquant nos chefs d’Etat comme dans l’affaire Bygmalion ou d’autres, prennent entre quatre et six ans entre la première instance, l’appel et la Cour de cassation. Il y a un temps de la justice qui est très important et il faut qu’il soit respecté pour tous les justiciables. Nous espérons davantage de coopération judiciaire, notamment de coopération fiscale. Cette dernière va permettre d’accélérer les enquêtes de justice et de police. Ce qui est important, c’est surtout qu’il y ait des moyens qui soient donnés pour que des enquêtes approfondies puissent être conduites et se terminer pour passer ensuite aux poursuites judiciaires et aux différents procès qui peuvent avoir lieu.

Qu’est-ce qui vous aura le plus marqué dans ce processus inédit ?
Ce qui me marque et me marquera toute ma vie se résume dans ces phrases un peu banales : "Quand on veut, on peut" ou "Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait." La dimension de cette affaire des biens mal acquis, à savoir un rapport de stage qui devient une affaire d’Etat et une affaire politico-judiciaire, démontre que ça vaut la peine de se battre. Le combat peut prendre plusieurs années, on peut faire face à des obstacles lourds, on peut être menacés, etc. Mais à la fin, quand le combat est juste, digne et participe à rendre ce monde quelque peu meilleur, il porte ses fruits. Cela me reste chevillé au corps et me donne de l’énergie pour plein de petits combats du quotidien dans ma vie et les responsabilités que je peux avoir au niveau local ou national. Il me remplit d’optimisme sur notre capacité à pouvoir agir pour améliorer notre société et combattre la corruption.

La deuxième leçon que j’ai envie de tirer, c’est que l’union fait la force. L’affaire des biens mal acquis est synonyme d’une union nationale et internationale des sociétés civiles.
Au niveau français, ce n’est pas tous les jours que le CCFD-Terre solidaire, Transparency International, Sherpa et d’autres associations comme Survie travaillent ensemble. Ce n’était pas facile ou gagné d’avance mais on voit que cela paie. Et cette alliance ne s'est pas juste faite au niveau national, elle était internationale, comme je l’ai déjà souligné avec l’implication des sociétés civiles et des diasporas africaines. A plusieurs et grâce aux compétences des uns des autres, nous pouvons faire bouger les lignes.

Au total, j'ai envie de retenir ces deux dynamiques. D'abord, nous avons le pouvoir d’agir pour faire changer le monde, cette dimension des biens mal acquis le prouve à tous ceux qui sont défaitistes, y compris dans mon entourage et qui m’ont dit que ça ne servait à rien de se battre contre des moulins à vent. Ensuite, cette affaire renvoie à une myriade d’acteurs  militants, juristes, enquêteurs, spécialistes   et de collectifs qui se sont mobilisés.

Avez-vous eu, au cours de ces longues années, des moments de doute 

Au tout début, on peut douter. Par exemple, quand on reçoit des menaces :  mon ordinateur a été visité et il y a eu ce procès en diffamation. Je n’ai pas reçu de menaces directes de mort, mais William Bourdon (avocat et fondateur de l'association Sherpa) en a eues. Il n’y a pas eu vraiment de moment de doute. Il y a eu plutôt des moments d’interrogation sur la voie à prendre pour mener le combat jusqu’au bout. C'est aussi l'énergie de la diaspora africaine. Je pense notamment à un homme, Bruno Ossébi, qui était un journaliste congolais, avec qui j'avais été en contact en 2007 et qui est mort dans des circonstances non encore élucidées. Il n'y a jamais eu de véritable enquête sur la disparition de Bruno Ossébi, mais nous savions qu'il était menacé par le pouvoir en place. C'est pour Bruno et toute cette diaspora africaine, dont je vous ai parlé, que j'ai trouvé cette énergie et la force de me battre. Encore une fois, je n'ai jamais eu vraiment de doutes. Il y a plutôt eu des moments où, par exemple à la fin de l'enquête préliminaire ou le renvoi, nous avons été confrontés à des obstacles. Cependant, nous avons toujours trouvé collectivement les ressources pour mener le combat. 

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