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Cheveux crépus : "Ceux que ça dérange apprendront à composer avec"

La coiffure afro de la ministre française Sibeth Ndiaye a fait l'objet de critiques désapprobatrices et de propos racistes sur les réseaux sociaux. La sociologue Juliette Sméralda, auteure de plusieurs ouvrages sur le cheveu crépu, explique pourquoi celui-ci n'a toujours pas droit de cité dans l'espace public. 

Article rédigé par Falila Gbadamassi - Propos recueillis par
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Portrait d'une jeune femme portant ses cheveux crépus.  (FRISCO / IMAGE SOURCE)

franceinfo Afrique : les critiques et les remarques racistes essuyées par la porte-parole du gouvernement français, Sibeth Ndiaye, lors de sa prise de fonction rappellent combien la présence du cheveu crépu dans l’espace public dérange en Occident. Pourquoi ?

Juliette Sméralda : c’est justement parce que ce cheveu s'affiche dans l’espace public qui est un espace de pouvoir ! Le cheveu crépu, qui n’est pas porté par ceux qui représentent le pouvoir et qui conçoivent les habits et les coiffures du pouvoir, n’est pas toléré par ceux qui se sont réservés un droit absolu sur cet espace. Les mêmes soubassements idéologiques opposent le privé au public, l’homme à la femme, les dominants aux dominés… Si quelqu’un comme Sibeth Ndiaye porte le cheveu crépu comme elle le porte et que les insultes lui glissent sur la peau comme de l’eau sur une feuille de chou – disons les choses comme cela –, ceux qui sont dérangés apprendront à composer avec.

Dans l’Amérique ségrégationniste, les Black Panthers avaient fait de l’afro une arme politique. Peut-on dire encore aujourd’hui que le cheveu crépu, malgré lui, reste politique ?

Quand j’ai travaillé sur la question du cheveu, je n'ai pas adopté l'approche politique qui était celle des Black Panthers. Pour moi, le cheveu est une partie de l’être humain et on n’a pas à lui dire qu'il faut ceci ou cela pour être accepté. Un être humain a le droit d’afficher son identité et de porter son cheveu comme il porte son corps et sa couleur. C’est pour cela que j’ai écrit Peau noire, cheveu crépu – L'histoire d'une aliénation (Editions Jasor, 2005). Entre les lignes, voici ce qui y est dit : vos cheveux vous appartiennent, tout comme votre corps. La situation de déni et de dénigrement dans laquelle vous vous trouvez est le fait de gens qui ont fait main basse sur votre identité en vous imposant les canons d'une esthétique qui ne vous sied pas et vous ruine sur le plan financier. 

Il me semblait arbitraire que des personnes consacrent une part aussi importante de leurs économies, de leur argent à changer leur corps et la texture de leur cheveu. Il fallait que ces dernières prennent conscience de cette aberration et de cet assujettissement à des canons de beauté qui ne sont pas les leurs. Elles achètent à prix d’or des accessoires et cosmétiques dédiés à cette beauté appelée à les transformer. Dans le monde, les femmes noires comptent parmi les plus pauvres, mais ce sont celles qui dépensent les sommes les plus faramineuses pour entretenir cette "beauté".

Pourtant, c’est dans leur corps et leurs cheveux réels qu'elles sauraient se rendre belles parce que leur civilisation leur a déjà donné les cosmétiques et les accessoires qui les valorisent réellement. 

La sociologue française Juliette Sméralda (DOUGLASS/JS)

Sibeth Ndiaye est une goutte d’eau dans l'océan d'un mouvement général, celui des femmes africaines et afrodescendantes qui, partout dans le monde, choisissent simplement d'être elles-mêmes en arborant leurs cheveux dans leur texture originelle...

Dans tous les pays, on observe le même scénario. Quand on ne met pas l’accent sur l'afro de la femme noire, c’est sur sa robe ou sa couleur de peau. Tous ces subterfuges sont utilisés pour signifier qu'elle n’a pas sa place dans l’espace public et dans un espace de pouvoir. Si vous comparez ce qu'il s’est déjà passé dans divers pays européens où des femmes noires étaient impliquées, vous allez retrouver des paramètres qui, analysés ensemble, prouvent que c'est d'abord l'affichage de la femme noire dans les espaces de pouvoir qui dérange les personnes qui crient ou insultent.

Il y aura des gens comme Sibeth Ndiaye qui seront protégés par leur président lequel, par calcul manifestement, joue la tolérance et l'ouverture, compte tenu de la rigueur des codes vestimentaires et de présentation de soi admis dans la sphère du pouvoir. En laissant Sibeth Ndiaye s’exprimer "chevelurement et vestimentairement" comme elle le fait, le Président (Emmanuel Macron, NDLR) s'affirme comme un grand démocrate...

Par ailleurs, Sibeth Ndiaye est peut-être née dans un environnement où on dit : "Moi, je viens avec mes tennis, ma robe à fleurs, mon afro et je n’en ai rien à cirer." Elle peut le dire ou le penser parce qu'elle en a le pouvoir dans la position qu'elle occupe au gouvernement ! A contrario, il y a beaucoup de gens qui ne sont pas au pouvoir, qui n'y arriveront jamais et qui vont passer leur vie à se décolorer, à se défriser, à porter des perruques qui leur tombent jusqu’aux fesses, croyant vraiment qu’ils parviendront à faire oublier qu'ils sont Noirs. Quant à Sibeth Ndiaye, elle ne représente qu'elle même. Ses choix de coiffures ne sont pas à généraliser, au point d'en faire une manifestation de "l’évolution" de la situation des femmes noires ou du "peuple noir" en France...

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