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Retrait de la CPI: les précédents sud-africain et burundais
Le Burundi a annoncé sa volonté de se retirer de la Cour pénale internationale alors que le pays est dans le collimateur de la justice internationale. Mais c'est l'Afrique du Sud, qui menaçait depuis plus d'un an de quitter l'institution, qui devient le premier Etat à le faire, mais surtout le premier Etat africain à mettre à exécution une menace brandie par l'Union africaine.
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L'Afrique du Sud a annoncé le 21 octobre 2016 son retrait de la Cour pénale internationale (CPI). Il devient le premier Etat à quitter cette juridiction. Conformément à la procédure, Pretoria «a annoncé par écrit au secrétaire général de l'ONU son retrait» de la CPI, a déclaré le ministre sud-africain de la Justice, Michael Masutha.
Un retrait effectif dans un an
Cette décision prendra effet dans un an «à compter de la date de réception»de la lettre adressée mercredi (19 novembre 2016) aux Nations unies», a précisé le responsable sud-africain. Le président burundais Pierre Nkurunziza a signé, lui, le 18 octobre 2016 un décret entérinant la sortie de son pays de cette juridiction internationale.
L'Afrique du Sud menaçait depuis plus d'un an de dénoncer le traité de Rome, fondateur de la CPI, à la suite de la polémique causée par son refus d'arrêter le président soudanais Omar el-Béchir. Ce refus a déjà fait l'objet d'une plainte devant la justice sud-africaine. En mars 2016, la Cour suprême d'appel avait jugé cette décision «illégale» et accusé les autorités de «conduite scandaleuse».
Ce jugement devait être réexaminé en novembre à la demande du parquet, mais le retrait de l'Afrique du Sud devrait mettre un terme à cette procédure.
Le Parlement sud-africain devra voter «prochainement» la loi abrogeant l'application du traité de Rome, selon le ministre de la Justice.
La CPI «préfère viser les dirigeants africains»
En Afrique, continent dont sont issus le plus grand nombre de pays signataires du traité de Rome (34 sur 124) et dont les dirigeants estiment que la CPI les vise en priorité, la décision de l'Afrique du Sud et la démarche du Burundi constituent un précédent.
Seuls des responsables politiques africains sont actuellement jugés dans les cinq procès en cours ou en préparation à la CPI même si des enquêtes préliminaires ont été ouvertes dans d'autres parties du monde. Par ailleurs, depuis son entrée en fonction en 2003, ses magistrats ont ouvert dix enquêtes dans neuf pays, dont huit africains.
La décision sud-africaine, que les observateurs estiment être un camouflet pour la juridiction internationale, risque de produire «un effet domino» et de pousser d'autres pays africains à claquer à leur tour la porte de la Cour, a prévenu le directeur de l'Institute for Security Studies (ISS), Anton du Plessis, interrogé par l'AFP. Fin janvier 2016, l’Union africaine a décidé de préparer une feuille de route censée aboutir au retrait commun des pays africains de la CPI.
Pour justifier leur départ de la CPI, le Burundi et l'Afrique du Sud ont repris à leur compte ces critiques. Par la voix de son ministre de la Justice, Pretoria a accusé le 21 octobre 2016 la cour de justice de «préférer de toute évidence viser des dirigeants en Afrique, et (d') exclure les autres qui sont connus pour avoir commis ces atrocités ailleurs».
Pour le Burundi, la CPI est «manipulée»
Le ministre burundais des Relations extérieures Alain A. Nyamitwé a également repris l’argumentaire de la partialité de la CPI lors d'un entretien accordé à la radio allemande Deutsche Welle, tout en insistant sur la souveraineté de la décision de son pays. «Le Burundi a choisi souverainement de sortir de la CPI», a déclaré Alain A. Nyamitwé. Cette juridiction, selon lui, «est manipulée par d'autres puissances».
La CPI «ne peut pas prétendre être une organisation indépendante comme le traité de Rome le dit, aussi longtemps qu’elle se laisse manipuler (…) Comment voulez-vous que le Burundi croit que cette organisation est indépendante quand certains activistes (…) qui ont joué un rôle important dans la tentative du coup d’Etat du 13 mai 2015 puissent être les premiers à saisir la CPI ? (…) Maintenant ils voudraient utiliser cette tribune pour poursuivre leur plan de changement de régime...», a-t-il poursuivi.
Le Burundi n'a pas encore notifier au secrétaire général des Nations unies sa décision. Néanmoins, a rappelé le porte-parole du secrétaire général des Nations unies Stephane Dujarric, les autorités burundaises sont tenues de collaborer à toutes les procédures ouvertes par la CPI avant la date de prise d'effet du retrait.
La Cour a ouvert en avril 2016 une enquête préliminaire sur des faits de massacres, d'emprisonnements, de tortures, de viols et d'autres violences sexuelles ainsi que sur des cas de disparition au Burundi. Une démarche qui a fortement déplu aux responsables politiques burundais et motivé leur décision de retrait de la CPI.
Dans un communiqué publié à la suite du conseil des ministres du 6 octobre 2016, «le gouvernement du Burundi estime que la décision du procureur de la CPI d’intervenir dans le conflit politique en cours au Burundi, sur pression des puissances qui financent son fonctionnement en l’occurrence l’Union européenne, en décidant d’un examen préliminaire alors que le Burundi est en train de s’acquitter de ses obligations tel que prévu dans le statut de Rome, constitue une atteinte grave et flagrante à la souveraineté et à la sécurité nationale (...)».
«Par voie de conséquence, poursuit le document, le gouvernement estime que le maintien du Burundi comme partie au statut de Rome de la Cour pénale internationale ne peut plus se justifier, du moment que ledit statut n’est plus respecté et surtout que des pays qui ne l’ont même pas ratifié en contrôlent le fonctionnement.»
En «grand danger de génocide»
Un autre rapport de l'ONU, publié le 20 septembre 2016, avait accusé Bujumbura d'être responsable de graves violations des droits, systématiques et constantes, et mis en garde contre de possibles «crimes contre l'humanité» et un «grand danger de génocide».
Le Burundi a plongé dans une grave crise depuis que Pierre Nkurunziza a annoncé en avril 2015 sa candidature à un troisième mandat, avant d'être réélu trois mois plus tard. Les violences y ont fait plus de 500 morts et poussé plus de 270.000 personnes à l'exil.
«Le retrait de la CPI et l'expulsion du bureau des droits de l'Homme des Nations unies du sol burundais constituent une escalade significative de la politique de renfermement du régime burundais, a estimé Dimitris Christopoulos, président de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH).
«Cette tentative, ajoute-t-il, de priver la communauté internationale de ses yeux et ses oreilles au Burundi pour continuer de commettre, à huis clos et en toute impunité, des graves crimes appellent une réponse forte et immédiate de l'Union africaine et des Nations unies».
Les Etats-Unis, qui n'ont jamais signé le Traité de Rome et ne sont donc pas membres de la CPI, ont également regretté la décision du gouvernement burundais. John Kirby, le porte-parole du Département d'Etat, a déclaré que le retrait du Burundi «l'isolait de ses voisins et de la communauté internationale au moment où la responsabilité, la transparence et le dialogue sont le plus nécessaires».
L'annonce de Pretoria a aussi suscité l'indignation des défenseurs des droits de l'Homme. Elle «démontre un mépris surprenant pour la justice de la part d'un pays longtemps vu comme un leader mondial en matière de justice pour les victimes des crimes les plus graves», a réagi Human Rights Watch (HRW). Il s'agit d'une «profonde trahison pour des millions de victimes» qui «sape le système judiciaire international», a dénoncé pour sa part Amnesty International.
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