Burundi : début de campagne électorale dans un pays protégé du coronavirus "par la grâce divine" mais pas des violences
Les élections présidentielle, législatives et municipales auront toutes lieu le 20 mai 2020.
La campagne pour les élections présidentielle, législatives et municipales du 20 mai au Burundi a débuté le 27 avril 2020. Et ce, en dépit de l’épidémie de coronavirus : 15 personnes seraient touchées et on compterait un décès, selon des chiffres officiels cités par Reuters. La présidentielle opposera six candidats, dont celui du parti au pouvoir, le CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie), le général Evariste Ndayishimiye, largement favori. Le sortant, Pierre Nkurunziza, ancien rebelle qui dirige le pays depuis la fin de la guerre civile en 2005, ne se représente pas. Un pays plongé dans un cycle de violences et de violations massives des droits de l'Homme depuis la dernière présidentielle de 2015.
Le CNDD-FDD a lancé en grande pompe sa campagne à Bugendana, dans la province de Gitega (centre), où il a réuni des milliers de personnes. Le chef de l’Etat sortant y a vanté les mérites du général Evariste Ndayishimiye, qu'il a dit soutenir "à 100%".
"Votez pour lui, il ne vous fera pas honte", a-t-il déclaré au sujet de ce proche qu'il a connu en 1995 dans le maquis, au temps de la guerre civile. "Nous avons souffert ensemble (…). Nous sommes les mêmes, notre destin est lié à la vie à la mort", a martelé Pierre Nkurunziza. "Je ne viens pas tout commencer à zéro, car on a mis en place les fondations pendant ces 15 années passées", lui a répondu le général Ndayishimiye, en promettant de "passer à une nouvelle étape" et de développer le Burundi, l'un des pays les plus pauvres du monde.
Hymne à la "joie"
Aucun des deux hommes n'a fait allusion à l'épidémie de coronavirus. Le chef de l’Etat sortant a seulement remercié Dieu pour la "joie" qui prévaudrait au Burundi, "alors que partout ailleurs dans le monde, c'est totalement différent". Le Covid-19 "ne va pas empêcher la tenue des élections (...) car nous sommes un peuple béni par Dieu", avait expliqué le premier vice-président Gaston Sindimwo, le 7 avril.
De son côté, l'opposition accuse le gouvernement de minimiser volontairement la pandémie. Les autorités, qui estiment que le pays est protégé par "la grâce divine", n'ont prévu pratiquement aucune mesure de protection spécifique pour les rassemblements électoraux.
La Ceni (Commission électorale) nous a donné des kits constitués de seaux d'eau et de savon pour que les sympathisants qui vont participer aux meetings se lavent les mains. Mais on se rend compte que cela ne servira à rien
Un haut responsable du CNDD-FDD, sous couvert de l'anonymatà l'AFP
La maladie n'a en tout cas pas dissuadé les gens de se déplacer. Le principal adversaire d’Evariste Ndayishimiye, le leader historique de l'ex-rébellion hutue des FNL et candidat du Conseil national pour la liberté (CNL, principal parti d’opposition, Agathon Rwasa, a ainsi rassemblé une foule impressionnante à Ngozi (nord), fief du président Nkurunziza. Profitera-t-il de la non-participation de ce dernier, qui a effectué trois mandats consécutifs depuis 2005 ?
Evariste Ndayishimiye saura-t-il s’émanciper ?
Le chef de l’Etat sortant avait annoncé en juin 2018 qu'il ne se représenterait pas. Evariste Ndayishimiye, qu’il a désigné comme candidat pour lui succéder, est un très proche : ce général à la retraite dirigeait les affaires militaires dans le bureau présidentiel. Comme le note Jeune Afrique, les deux hommes ont maints points communs : "Ce sont de fervents croyants (Ndayishimiye étant catholique et le président évangélique)" et ils sont tous les deux passés "par le maquis". "Ce passage dans la clandestinité confère (à l'ancien militaire) une légitimité indispensable auprès des militants du CNDD-FDD", précise le journal.
La question est de savoir si une fois élu, Evariste Ndayishimiye, homme du sérail s'il en est, va changer de style et s’émanciper de son mentor. Il "est perçu comme plus ouvert que le président sortant. A la tête du CNDD-FDD, il a essayé de rétablir la confiance avec les partenaires du Burundi, adoptant un langage moins agressif vis-à-vis de l’Occident et faisant du développement et de la lutte contre la pauvreté ses priorités", observe La Croix. Pour autant, "le président Nkurunziza contrôle tout le système, il est sans doute l’homme le plus riche du pays. Je ne vois pas le général Ndayishimiye, qui s’est toujours montré respectueux au point d’en paraître obséquieux envers lui, chercher à l’écarter dans un premier temps", rétorque un cadre du parti cité par Le Monde. Il faut donc attendre de voir quel style de pouvoir il exercera s’il l’emporte...
Les Imbonerakure, "ceux qui voient loin". Et frappent fort...
L’une des questions concernant le successeur de Pierre Nkurunziza est de savoir s’il saura rétablir la paix civile. Depuis la dernière présidentielle en 2015, le Burundi est plongé dans un cycle de violences et de violations massives des droits humains qui ont fait 1 200 morts et entraîné des déplacements de populations de près d’un demi-million de personnes.
Des groupes de défense des droits de l'Homme et des partis d'opposition évoquent les attaques perpétrées par les membres de l'aile jeunesse du CNDD-FDD, les Imbonerakure – ou "ceux qui voient loin" en langue locale kirundi. Ce parti, qualifié de "milice" par l’ONU, est "réputé pour les nombreuses exactions (…) commises ces dernières années", comme le rappelait franceinfo Afrique en juillet 2019.
Les dizaines de milliers de jeunes du parti Imbonerakure, sous les ordres de leur chef Eric Nshimirimana, jouent un rôle clé dans la répression. Quadrillant tous les territoires du pays, ils arrêtent, tabassent ou assassinent les opposants
Franceinfo Afrique
Précision : Eric Nshimirimana a été nommé à la tête de la télévision nationale, unique média audiovisuel burundais...
En 2019, l’ONU a dénoncé "la terreur" dans le pays. "Les violences et la répression sont le signe distinctif de la politique au Burundi depuis 2015", résume Human Rights Watch (HRW) dans un communiqué publié le 27 avril. L’ONG dit avoir recensé ces six derniers mois plusieurs cas de meurtres, disparitions, arrestations arbitraires, menaces et harcèlement à l'encontre d'opposants présumés. Notamment à l'encontre des membres du CNL, observe Amnesty International. Les réfugiés ont eux aussi été harcelés, constate l’organisation. Tout comme l'est la presse : en janvier, quatre journalistes d’Iwacu, un média indépendant, ont ainsi été condamnés à deux ans de prison alors qu’ils s’intéressaient à l’incursion de rebelles burundais venus de RDC.
En 2019, "des organisations et des médias qui auraient normalement fourni des informations indépendantes ont été fermés ou réduits au silence", rapporte Amnesty. Le bureau de l’ONU pour la protection des droits humains et la plupart des médias et organisations de défense des droits de l'Homme indépendants ont ainsi dû cesser leurs activités. De leur côté, la BBC et la VOA (Voice of America) ont reçu l’interdiction de diffuser leurs programmes dans le pays. Le but de toutes ces actions violentes et interdictions étant de "permettre au parti au pouvoir de maintenir son emprise", constate HRW.
Pauvreté et inondations...
Grande oubliée des élections : une économie peu diversifiée, très perturbée par le difficile contexte politique. L’activité est également "bridée par le manque d’infrastructures et d’accès à l’électricité", constate la Coface, assureur pour le commerce extérieur français.
"La majeure partie de la population burundaise vit dans la pauvreté, surtout en milieu rural. Le niveau d’insécurité alimentaire est presque deux fois plus élevé que la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne", rappelle de son côté la Banque mondiale. Tandis qu’en cette fin avril, près de 28 000 personnes se sont retrouvées sans abri à la suite d’inondations à Gatumba, dans l’est du pays, rapporte Iwacu... Les Burundais, "peuple béni par Dieu", vraiment ?
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