Mission commune G5 Sahel et Barkhane
Quelques jours avant la collision des deux hélicoptères français en mission de combat, lundi 25 novembre, des journalistes de l'AFP avaient suivi la première patrouille commune des forces du G5 Sahel et de Barkhane.
Un reportage de Amaury Hauchard de l'AFP, photos Michele Cattani.
Il y a dans la forêt de Tofa Gala, dans le nord du Burkina Faso tout près du Mali, un marécage nappé de nénuphars dont la vision ferait presque oublier qu'ici aussi, comme ailleurs dans le Sahel, la guerre fait rage.
Ce samedi de novembre à l'aube, des soldats français avancent armes à la main d'un côté du marécage. De l'autre, des soldats burkinabè marchent en parallèle.
Les déploiements se multiplient au Sahel contre les mouvements jihadistes qui prolifèrent. Mais cette opération est inédite et illustre l'effort renouvelé pour venir enfin à bout d'un ennemi insaisissable. C'est la première fois en effet que les Français, les armées nationales et la force multinationale du G5 Sahel (Mali, Burkina, Niger, Mauritanie et Tchad) travaillent officiellement ensemble sur le terrain.
Mission des 1 400 militaires de cette opération Bourgou IV (dont 600 des 4 500 Français de la force Barkhane) : rétablir l'autorité dans une zone reculée où aucune armée n'a mis les pieds depuis plus d'un an, laissant le champ libre aux jihadistes.
Cette forêt, et toute la région dite "des trois frontières" entre le Mali, le Burkina et le Niger, sont la principale zone d'action des mouvements jihadistes sahéliens.
"C'est une zone propice pour se cacher et entretenir une logistique, une région transfrontalière et très difficile d'accès", dit le colonel Thibauld Lemerle, qui supervise une large partie de l'opération côté français.
Ces groupes ont vu le jour après la crise indépendantiste malienne de 2012. Du nord du Mali, ils ont étendu leurs agissements au centre du pays et à ses voisins, Niger et Burkina en tête. Depuis 2012, les hostilités, doublées de violences intercommunautaires, ont fait des milliers de morts et déplacé des centaines de milliers de civils.
Dans des secteurs délaissés, les jihadistes ont capitalisé sur le sentiment d'abandon et les crispations communautaires pour enrôler à tour de bras.
Certains ont pris la bannière d'Al-Qaïda, d'autres de l'organisation de l'Etat islamique. Un troisième groupe, Ansaroul Islam, reste indépendant. Ils se partagent les mêmes espaces, en concurrence ou en collaboration.
Insaisissables
"Ils sont là, mais cachés, on les cherche, mais on ne les trouve pas, c'est une guerre impossible", lâche un jeune sous-officier français, fusil d'assaut à la main. Disséminés sur des territoires immenses, se fondant dans la population, ils se regroupent souvent avant l'attaque.
Une détonation retentit dans le marécage. Est-ce l'ennemi recherché ? Non, un tir de sommation burkinabè au passage d'un local. La marche reprend. On découvre et emporte deux motos abandonnées au milieu du sous-bois, suspectes de servir à des jihadistes à la mobilité redoutable.
Le lundi suivant, le renseignement français intercepte une communication d'un des chefs d'Ansaroul Islam à quelques kilomètres des positions de Bourgou. Son téléphone est localisé à 300 mètres près.
Quatre-vingts Français sont envoyés au contact, survolés par un Mirage 2000 et des drones. Les heures de marche se succèdent. Toujours rien.
"C'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, il peut être ici, il peut déjà être parti", indique le lieutenant Julien, avant de donner ses ordres à la radio. "On passe en tir sans sommation!"
On avance encore, le stress monte. "Village à 200 mètres", grésille la radio. Six huttes se profilent sous le soleil de plomb, quelques femmes et enfants sont regroupés sous un acacia. Aucun homme.
En silence, des éléments français fouillent les habitations. L'un découpe un matelas, l'autre secoue les nattes. "On cherche des moyens de communication et des composants utilisés pour faire des IED", des mines artisanales, explique le chef de groupe Pierrick. Quelques téléphones sont trouvés et la troupe repart pour deux heures de marche pour rejoindre les véhicules.
Plus tard, deux soldats de rang repassent le fil de la journée : "On ne peut pas fouiller comme ça et couper des matelas, regarde comment les gens nous regardaient !"
Moto ou blindé
"Mais c'est le seul moyen ! Imagine si un téléphone était caché dans le matelas". "Dans des zones d'influence terroriste, tout le monde peut potentiellement être un ennemi, ils le savent et en jouent", abonde un gradé français. Les locaux, entre le marteau et l'enclume, paient le prix fort.
Si les soldats de Barkhane ont des règles d'engagement strictes, les armées maliennes et burkinabè ont plusieurs fois été épinglées pour violations des droits de l'homme.
On assure côté français que, au cours d'opérations conjointes, des mécanismes sont mis en place pour contrôler l'engagement. Il s'agit de prévenir les bavures dont l'impact pourrait être grave. Certains mécanismes ne sont pas toujours respectés par les partenaires, admet une source française.
"Cela peut devenir un traquenard pour nous", glisse un gradé français. "Mais évoluer avec des hommes en moto quand on est plus lents en blindé, c'est intéressant".
Un officier burkinabè ajoute: "Avec les mesures de sécurité et le bruit des blindés, c'est normal que les Français ne trouvent jamais rien quand ils arrivent. Nous, en moto, on est plus mobiles".
Et plus exposés. Quelques jours plus tôt, deux soldats burkinabè à moto ont été tués par une mine artisanale. Environ 170 soldats maliens et burkinabè ont été tués depuis début septembre par des jihadistes présumés. Un soldat de Barkhane a été tué par une mine artisanale.
Pour ces armées sahéliennes, sous-financées, sous-équipées et sous-formées, la logistique est "compliquée, en matière de ravitaillement en eau et nourriture surtout", dit le capitaine Wendimanégdé Kaboré, commandant d'unité burkinabè. De nombreux soirs, des soldats burkinabè viennent chercher packs d'eau et nourriture chez les Français.
Une gloire fuyante
Ce lundi-là, en fin de journée, une nouvelle alerte tombe : des "sonnettes" (informateurs qui préviennent les jihadistes du passage des forces armées) ont été localisées à quelques kilomètres. Les blindés filent dans un nuage de sable.
Ils arrivent dans le village cible. Trois hommes partent en courant et lancent des objets dans les broussailles. L'un d'entre eux est arrêté quelques minutes plus tard.
En vieux jogging, avec une veste de sport sur le dos, il ne dit mot.
"On a pris un téléphone. Il est parti en courant à notre arrivée alors que les habitants sont restés, c'est suspect. Mais on n'a rien, on va le relâcher", raconte le lieutenant Julien.
Une centaine de téléphones comme celui-ci ont été saisis durant les deux semaines de Bourgou IV, 24 personnes ont été tuées ou capturées et une soixantaine de motos emmenées selon l'état-major français. Les 1 400 soldats se sont retirés le 17 novembre, abandonnant la zone à nouveau à elle-même, ou à d'autres.
Si ce bilan peut sembler maigre au vu des moyens déployés, les différents états-majors se félicitent. "Le résultat n'est pas seulement arithmétique, il y a ces 24 personnes mais aussi tous ceux qui ont fui, toutes les ressources chamboulées par notre présence", dit le colonel Raphaël Bernard.
"On n'a pas tous les jours rendez-vous avec la gloire, mais on travaille ensemble, on agite le bocal et on est au combat".
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