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Au Botswana, la musique metal séduit un large public

Ne vous fiez pas à leur look ! S'ils portent vestes cloutées à franges et chapeaux de cow boy, ce ne sont pas des amateurs de musique country, mais bien des purs "métalleux". Ils se sont retrouvés au Botswana pour participer au 10e Overthrust Winter Metal Festival...

Article rédigé par The Conversation - Fabrice Raffin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Les festivaliers ont adopté un look "country", mais il s'agit bien d'un festival de Métal !  (Author provided)

Au Bostwana, la musique metal se vit "façon longues vestes en cuir à franges et chapeau de cow-boys" ! Ce 23 mai 2019 à Ghanzi, capitale du désert du Kalahari, les "metalheads" ou "Marocks" comme ils se nomment, convergent de toutes les bourgades du pays pour le dixième Overthrust Winter Metal Festival. Pour la plupart, ils ont parcouru plusieurs centaines de kilomètres en voiture ou en bus. Un peu à l’écart, à même le sol, celui que l’on appelle HorneMan enfile son lourd costume à épaulettes, tout en cuir clouté à franges, chaînes et chaps (un vêtement de cavalier qui protège les jambes comportant une ceinture et des jambières) et de l’incontournable chapeau de cow-boy. Si dans le modeste community center résonnent la balance du concert et les riffs de guitare, un gospel endiablé échappé d’une maison proche improvisée en église domine l’ambiance sonore du parking où la consommation de bière va bon train, dans un drôle de mélange de métalleux et de religieux.

Flux culturels mondialisés

On ne manque pas d’éprouver une certaine surprise à se retrouver dans un festival de metal au beau milieu du continent africain. La mondialisation des échanges ne concerne pas uniquement les marchandises, mais également ce que Ulf Hannerz appelait déjà dans les années 1990 les flux culturels. Ces processus sont difficilement saisissables et le festival metal de Ghanzi représente certainement une cristallisation de ces flux culturels arrivés là on ne sait trop comment : les versions divergent. A l’origine, le metal botswanais viendrait du Nord, de la ville de Maun où des touristes américains devenus finalement résidents l’auraient diffusé, une autre renvoie plutôt en Afrique du Sud, pays limitrophe. Quoi qu’il en soit, la présence au Botswana de ce style musical venu d’Occident est-elle à considérer comme un avatar supplémentaire de ce que d’aucuns qualifient pudiquement de soft power, euphémisme renvoyant plutôt à un processus impérialiste d’imposition et d’uniformisation culturelle à l’échelle mondiale ?

A bien y regarder la nuance s’impose. D’une part, la manière de vivre le metal dans cette partie du monde est originale, réappropriée et instrumentalisée à travers des problématiques locales, dans une double perspective d’émancipation et d’éducation. D’autre part, la musique metal représente une forme de résistance à un autre flux culturel colonisateur, religieux celui-là, celui de la prolifération des églises évangélistes dans les pays d’Afrique australe. Chacun de ces flux, avec leurs pratiques, se définit par rapport à des enjeux locaux, et se joue dans une tension constante entre un ici et un ailleurs idéalisé.

Les Botswanais se réapproprient la culture metal.  (Author provided)

Civilisation de la vache et éducation

A Ghanzi, outre le contexte local des townships, un fan de metal européen se  sentirait relativement perdu. Il retrouverait bien sûr les rassembleurs signes du diable et de la bière à foison, mais ici peu de headbanging ou de circle pit dans le public. A la place, les métalleux botswanais exécutent plutôt une danse basée sur un drôle de jeu de jambe qui consiste, le dos très droit, à monter le genou le plus haut possible et à taper le sol du pied le plus fort possible, en ramenant les bras devant soi tout en restant extrêmement raide. Comme en Europe, le cuir est de mise bien sûr, mais les vestes arrivent aux chevilles, recouvrant souvent des jambières d’équitation. Elles ne sont pas seulement cloutées, mais surchargées d’objets divers : cartouchières, cache-sexes en forme de vache, cloche de bétail. Surtout, la multitude de chapeaux de cow-boys donne plutôt à l’ensemble un air de country club.

La symbolique vestimentaire en dit long sur la réappropriation de ce genre musical par les Botswanais. Si le metal a été importé d’Occident, ces différents accoutrements et parures font sens dans un contexte local particulier. Celui d’un monde agricole où l’élevage bovin reste, avec l’industrie du diamant et malgré le développement récent du pays, la principale ressource économique et d’emplois. Dans ce contexte d’Afrique australe, que l’historien François-Xavier Fauvelle nomme "la civilisation de la vache", le bricolage culturel apparaît tout à fait logique, faisant le lien entre un passé toujours vivace et l’aspiration à ce qui est perçu comme la modernité occidentale contemporaine et à laquelle les métalleux participent par la musique.

De ce point de vue, le metal est également utilisé pour le développement local et prend une dimension tout à fait politique, sorte de pari d’avenir original. En effet, soutenu par la municipalité, le festival accueille de nombreux enfants de la ville. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes d’en voir une cinquantaine sagement assis dans la salle, écoutant le discours du maire sur le repère que doit constituer pour eux le metal et ses valeurs, pour leur éducation, au milieu d’un public, dont beaucoup de membres titubent, manifestement en état d’ivresse avancée.

"Nous ne sommes pas des satanistes"… mais des gens tellement normaux

Si la scène metal botswanaise diffère ainsi par son inscription dans des enjeux et contexte locaux, il faut attirer l’attention sur ce que, à l’inverse, elle partage avec le metal européen et américain. Dans un cas comme dans l’autre, loin des clichés du "rocker rebelle" construits depuis l’époque d’Easy rider et portés par les groupes de référence, la figure du métalleux se distingue aujourd’hui par son extrême intégration sociale, sa "normalité". Les défenseurs de ce style aiment à répéter que tous les milieux sociaux sont représentés parmi les publics metal. Si cette affirmation semble toujours sujette à caution pour un sociologue, la diversité sociale y est tout de même plus grande comparée à des publics d’autres styles musicaux. Mais globalement ce public, au Botswana comme en Europe, partage un point commun : celui d’être "socialement intégré". A de rares exceptions, la majorité des métalleux ne connaît pas de difficulté sociale ou économique particulière. En Europe comme au Botswana, ce public occupe majoritairement un emploi, vit maritalement, a des enfants, bref il est difficile de distinguer ces "mesdames et messieurs tout-le-monde" durant la semaine. En l’occurrence à Ghanzi ils sont salariés, vendeurs, beaucoup occupent un travail agricole, et j’en rencontre plusieurs qui sont policiers. Cette "normalité" est cruciale pour comprendre ce que signifie vraiment cette pratique culturelle.

Les festivaliers jouent avec les codes culturels.  (Author provided)

Etre métalleux prend tout son sens par rapport à un quotidien professionnel pas toujours en phase avec des valeurs et des aspirations à l’accomplissement personnel quelque peu bridées. Comme si chacun pouvait s’ouvrir là un espace de réalisation de liberté, d’égalité et de fraternité. Même si les excès se limitent à l’alcool, rarement à la drogue, il y a une dimension performative dans la participation collective à ces festivals, lieu où l’on éprouve les solidarités, ou on met en œuvre l’égalité et la tolérance de tous les genres en rupture de la société patriarcale, où la violence est bannie. Et ils ont grand cœur les métalleux. A Ghanzi, comme cela arrive en Europe pour certaines causes, les recettes sont reversées pour la lutte contre un fléau national, le suicide des jeunes.


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Un espace de liberté

Comme en Europe, les métalleux botswanais sont souvent accusés de dérives satanistes, surtout en Afrique par les églises évangélistes, comme me l’a confirmé Gabriel Faimau de l’Université du Botswana. Ils peuvent bien sûr jouer de cette référence sans pour autant y adhérer. Loin de l’image d’un extrémisme marginal, il faut au contraire souligner leur engagement citoyen, en faveur des valeurs républicaines et démocratiques – d’autant plus significatif en Afrique. Les métalleux botswanais se font appeler reines et rois du metal, mais ici, tout le monde peut jouer ce rôle. Cette pratique culturelle permet de gérer le lien entre un sentiment de dépossession, d’aliénation dans le travail et ce à quoi l’individu aspire. Le repère identitaire que représente le metal dépasse les différences ethniques, nombreuses dans le pays. Pour les protagonistes la primeur est donnée à leur identité de Rocka, du nom que ce donnent les amateurs de metal au Botswana, par rapport à d’autres dimensions, professionnelles, religieuses voire familiales.

Les pratiques culturelles sont certes indexées sur des milieux sociaux, mais ce déterminisme n’est pas à ce point implacable qu’une forme esthétique comme le metal soit une fois pour toutes liée à un groupe social particulier. Cette musique peut tout à fait être mobilisée et faire sens pour d’autres groupes sociaux loin des pays où il a été conçu, et si on le voit mobiliser les foules en Afrique australe, son développement est encore plus important au Maghreb, en Amérique du Sud, en Indonésie et jusqu’en Syrie.

Durant les trois jours du festival de Ghanzi, beaucoup de journalistes étaient présents pour couvrir l’évènement. Entre exubérance et cabotinage, les métalleux se pavanaient devant les objectifs, prenant des poses surjouées, dans leurs rôles de reines et rois du metal. Fallait-il y voir une soumission au diktat contemporain de la célébrité facile ? N’était-ce pas plutôt une recherche de reconnaissance libératrice de la part d’individus qui ne veulent pas être assignés à une identité tournée vers le passé, mais qui regardent vers l’avenir à travers une musique mondialisée ?The Conversation

Fabrice Raffin, Maître de Conférence à l'Université de Picardie Jules Verne et chercheur au laboratoire Habiter le Monde, Auteurs fondateurs The Conversation France
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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