Tensions entre Paris et Alger : "Les propos du président Emmanuel Macron sont de nature à choquer une bonne partie de la population algérienne", selon un chercheur
Les propos d'Emmanuel Macron sur l'Algérie ne passent pas auprès du gouvernement algérien, ni auprès des Algériens eux-mêmes, estime Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève, ce lundi sur franceinfo.
"Les propos du président Emmanuel Macron sont de nature à choquer, non seulement les autorités algériennes", affirme lundi 4 octobre sur franceinfo Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève, "mais une bonne partie de la population algérienne". Alors que l'Algérie a fermé son espace aérien aux avions militaires français et a rappelé son ambassadeur en France dimanche 3 octobre, après des propos attribués au président français Emmanuel Macron. Selon un article du journal Le Monde, le président français estime qu'après son indépendance en 1962, l'Algérie s'est construite sur "une rente mémorielle", entretenue par "le système politico-militaire".
franceinfo : Est-ce que l'Algérie instrumentalise l'histoire, comme le laisse entendre Emmanuel Macron ?
Hasni Abidi : Chaque pouvoir politique prend possession de son histoire à des fins de survie et parce qu'il s'agit d'un acquis important qui appartient à toute la nation. Donc, le pouvoir algérien n'a pas un usage exclusif de l'histoire et de la mémoire algérienne. C'est pourquoi, les propos du président Macron sont de nature à choquer, non seulement les autorités algériennes, mais une bonne partie de la population algérienne.
Est-ce que vous y voyez un changement de pied d'Emmanuel Macron, un échec de la réconciliation à laquelle il œuvre depuis qu'il est arrivé au pouvoir ?
La réconciliation n'a jamais avancé. La situation entre la France et l'Algérie est normale tant qu'il n'y a pas ce genre d'incident. Là, on entre dans une tempête, un nouvel épisode de cette crise entre les deux capitales. Le chantier mémoriel est déjà en panne depuis un certain temps puisque l'Algérie n'a pas répondu favorablement au rapport de Benjamin Stora. Le deuxième élément est que l'Algérie s'attendait à des gestes, à des actions plus fortes. Et pour Alger, c'était tout de même un rapport a minima qui ne satisfait pas les demandes algériennes.
Pourquoi ces propos aussi forts interviennent maintenant ?
Les propos de Macron sont surprenants, d'autant que le président Macron est bien perçu par le président Tebboune. Il a réussi à entretenir une belle relation avec le président algérien. Le président Macron n'est pas du tout prisonnier de l'histoire de la France parce qu'il est né après l'indépendance, il a fait des gestes forts lors de sa campagne électorale à Alger. Je pense que cette sortie de route est motivée probablement par des promesses non tenues de la part d'Alger. Mais on ne connaît pas quelles promesses. Probablement la question mémorielle, la question des visas, la question des rapports économiques. Cela démontre une mauvaise image de la part du président français. Il lui aurait fallu plutôt utiliser des propos beaucoup plus mesurés, sachant que les Algériens sont très susceptibles et très sensibles. Les mots étaient forts : la question de la "rente mémorielle", le "système politico-militaire", une histoire réécrite, ce sont des propos que jamais dans le passé, un président français n'avait tenu à l'égard des Algériens.
Quand Emmanuel Macron évoque un système politico-militaire, il sous-entend que le président algérien n'a qu'un pouvoir limité ?
Absolument. C'est le message qui a été reçu par Alger, c'est-à-dire que le président Macron fait le diagnostic d'un régime composé de deux pôles : un pôle présidentiel dirigé par le président Tebboune, avec lequel il entretient de bonnes relations, et un autre pôle, l'institution militaire ou l'armée, qui laisse très peu de marge au président Tebboune. Mais ce genre de propos passe très mal du côté d'Alger parce que les autorités algériennes pensent bien sûr qu'il y a un seul président, c'est le président Tebboune, et cela affaibli même le président Tebounne lui-même. Ces déclarations irritent les autorités algériennes qui pensent que la campagne électorale française est responsable de l'intrusion de l'Algérie comme un enjeu électoral.
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