Comme un symbole, ils posent côte-à-côte, ensemble. Un fils d'indépendantiste algérien, une fille de harkis, un ancien appelé de l’armée française et puis un pied-noir : quatre visages d'un même conflit se sont retrouvés face à une classe de Terminale du lycée polyvalent Aragon-Picasso de Givors. Ils ont discuté du souvenir de la Guerre d'Algérie, qui s'est terminée il y a tout juste 60 ans avec les Accords d'Evian. Et surtout du présent et de l'avenir de l'impact de ce conflit qui a laissé des blessures au sein des familles. >> 60e anniversaire des Accords d'Évian : "On réussit à avoir un regard un peu plus serein sur cette période", estime un historienMichel Wilson, pied-noir né à Alger en 1952, entend tordre le cou aux idées reçues, notamment sur le rôle des différents protagonistes. Il s'adresse aux héritiers de cette histoire complexe. Depuis six ans, il parcourt des établissements scolaires avec son association "Coup de soleil". Il travaille avec l'association 4ACG (Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre). De gauche à droite : Allaoua Bakha, dont la famille a milité au Front de libération nationale ; Michel Wilson, pied-noir ; Alexandra-Dalila Amri, fille de harki ; Michel Bret, ancien appelé de l'armée française. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE) Les lycéens lui posent d'emblée des questions : "Pensez-vous que l’Algérie devait rester française ?" "Non ! Et la France n’avait rien à faire en Algérie", répond-il du tac au tac. Ou comment défaire les clichés sur la guerre d'Algérie, qui, 60 ans après, n'a pas refermé toutes ses blessures. "On est des gens que tout aurait pu opposer, et on montre qu’on est amis, qu'on est cote à cote."Cet esprit de réconciliation, c’est ce qui a frappé Sophie, en Terminale, lors son échange avec Michel Bret, 84 ans, qui a fait son service militaire en Algérie : "Il disait 'je suis fier de pouvoir serrer la main d’un ancien membre du FLN parce que ça veut dire qu’on a dépassé ça, et qu’on peut avancer'. Je trouve ça merveilleux.", confie-t-elle, visiblement émue.Ouvrir le dialogue plutôt qu’enterrer le passéPour Alexandra-Dalila Amri, fille de harki, ces rencontres sont salvatrices. Elle vit cet échange avec les lycéens comme une thérapie.Elle essaie de se réconcilier avec elle-même et avec son père. "J’ai vécu en mon sein le harkisme de mon père, et ses conséquences néfastes pour nous à la maison" raconte-t-elle. Son père est toujours vivant, mais elle n’a jamais réussi à parler avec lui de la guerre. "Aujourd’hui, j’aimerais poser à mon père plusieurs questions: ‘pourquoi t’es-tu engagé dans l’armée française? Et pourquoi avoir fui au moment de la proclamation d’indépendance? Avais-tu quelque-chose à te reprocher?´ Pendant des années, j’ai eu honte de ce statut de harki, et j’ai préféré affirmer que mon père n’était plus de ce monde", souffle-t-elle. Allaoua Bakha, fils d’un militant du FLN, échange avec les lycéens de Givors. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE) Beaucoup de lycéens réalisent que, dans leurs familles aussi, cette guerre est un secret bien gardé. "Mon père a vécu en Algérie, et c’est tabou, on en parle pas du tout", explique une élève. Michel réplique : "Essayez de faire remonter ça, parce que ce sont des souffrances enfouies. Contribuez à ce que ces souffrances s’atténuent. " C’est là tout l’objectif de l'association : briser le silence, apaiser les mémoires et faire que la guerre d’Algérie ne soit pas un angle mort de notre histoire. Une conversation entre les mémoires de la Guerre d'Algérie, un reportage d'Agathe Mahuet écouter