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Pierre Daum: «Les harkis sont restés majoritairement en Algérie»
Le président François Hollande a «reconnu» le 25 septembre 2016 «les responsabilités des gouvernements français dans l'abandon des harkis». Pierre Daum, auteur de plusieurs ouvrages sur le passé colonial de la France, a publié un livre-choc qui bouscule les certitudes des deux côtés de la Méditerranée. «Le dernier tabou» lève le voile sur le sort des harkis.
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Temps de lecture : 4min
(Article mis en ligne le 4 avril 2015)
Dans votre livre, vous dites que la majorité des harkis est restée en Algérie. Cela va à l'encontre de toutes les thèses développées jusqu'ici des deux côtés de la Méditerranée.
En France, on pense en effet qu’en 1962, il n’y avait que deux solutions pour les harkis : soit s’enfuir en France, soit se faire «massacrer» en Algérie. Or, si on considère tous les Algériens qui se trouvaient aux côtés de la France pendant la guerre, cela faisait au moins 450.000 hommes (250.000 supplétifs, 120.000 appelés, 50.000 engagés et 30.000 notables pro-français). Sur ces 450.000 hommes, seuls 30.000 au maximum sont partis en France. Il en est donc resté 420.000. Le nombre de tués reste encore inconnu. Mais il est clair que les chiffres avancés en France (on parle souvent d’un «massacre» de 150.000 harkis) sont totalement exagérés. Les historiens actuels avancent un ordre de grandeur de plusieurs milliers, voire quelques dizaines de milliers. C’est beaucoup, c’est très douloureux, mais au final, cela fait bien une immense majorité de «harkis» (au sens large) qui est restée en Algérie sans se faire tuer.
En Algérie, ces chiffres dérangent, car le discours officiel est de dire qu’en 1954, au moment du déclenchement de la guerre, «le peuple algérien s’est levé en masse contre l’oppresseur colonial». La réalité est différente et les maquisards algériens (les moudjahidines) ne représentaient qu’une minorité. Ils n'en sont d’ailleurs que plus admirables.
Peut-on distinguer un profil type de harki?
Il est toujours délicat de créer des cases trop restrictives. On sait cependant que le recrutement des supplétifs a eu lieu essentiellement dans les masses paysannes écrasées de misère. Une misère produite par 130 années d’oppression coloniale et accentuée par la guerre (bombardement des villages, déplacement massif de population, etc.). Dès lors, la misère a souvent constitué la motivation principale de leur engagement (et non pas un amour patriotique pour la France).
Les violences souvent aveugles exercées par certains moudjahidines ont aussi poussé des familles de paysans dans les bras des Français. Mais les harkis ne sont pas les seuls à avoir porté l’uniforme français. J’ai été moi-même surpris, au cours de mon enquête, de réaliser que 50% des jeunes Algériens avaient répondu à l’appel du service militaire. Il faut comprendre qu’à cette époque, il n’existait pas de conscience nationale algérienne. Pour la plupart des «musulmans» d’Algérie, l’Etat, c’était la France. Et lorsque la France donnait des ordres, on y obéissait, c’était «normal».
Que sont devenus ces harkis restés en Algérie et leurs enfants?
Il y a de nombreux cas de figure, qu’il est impossible de résumer en quelques phrases. Dans mon livre, je retrace le parcours de vie d’une cinquantaine de témoins, que j’ai retrouvés dans toutes les régions d’Algérie. Chaque vieux monsieur possède son histoire propre. Mais disons que certains ont subi des violences, puis repris leur vie de paysans pauvres. Sauf que par rapport aux autres, ils ont fait l’objet d’une relégation sociale qui les a maintenus, et qui les maintient toujours, eux et leurs enfants, dans une situation sociale et économique très difficile.
Comprenez-vous que ce sujet soit encore très sensible en France et en Algérie?
Oui, j’en ai bien conscience. En France, le discours sur les harkis est le plus souvent instrumentalisé par les héritiers des ultras de l’Algérie française pour continuer un combat qu’ils refusent toujours d’avoir perdu. En Algérie, l’idée (fausse) des harkis comme ayant été très peu nombreux constitue un des piliers du discours officiel sur la guerre de Libération. Vous retirez ce pilier, c’est tout l’édifice qui s’écroule…
(Le dernier tabou, les «harkis» restés en Algérie après l’indépendance, Pierre Daum, Actes Sud, 2015)
Dans votre livre, vous dites que la majorité des harkis est restée en Algérie. Cela va à l'encontre de toutes les thèses développées jusqu'ici des deux côtés de la Méditerranée.
En France, on pense en effet qu’en 1962, il n’y avait que deux solutions pour les harkis : soit s’enfuir en France, soit se faire «massacrer» en Algérie. Or, si on considère tous les Algériens qui se trouvaient aux côtés de la France pendant la guerre, cela faisait au moins 450.000 hommes (250.000 supplétifs, 120.000 appelés, 50.000 engagés et 30.000 notables pro-français). Sur ces 450.000 hommes, seuls 30.000 au maximum sont partis en France. Il en est donc resté 420.000. Le nombre de tués reste encore inconnu. Mais il est clair que les chiffres avancés en France (on parle souvent d’un «massacre» de 150.000 harkis) sont totalement exagérés. Les historiens actuels avancent un ordre de grandeur de plusieurs milliers, voire quelques dizaines de milliers. C’est beaucoup, c’est très douloureux, mais au final, cela fait bien une immense majorité de «harkis» (au sens large) qui est restée en Algérie sans se faire tuer.
En Algérie, ces chiffres dérangent, car le discours officiel est de dire qu’en 1954, au moment du déclenchement de la guerre, «le peuple algérien s’est levé en masse contre l’oppresseur colonial». La réalité est différente et les maquisards algériens (les moudjahidines) ne représentaient qu’une minorité. Ils n'en sont d’ailleurs que plus admirables.
Peut-on distinguer un profil type de harki?
Il est toujours délicat de créer des cases trop restrictives. On sait cependant que le recrutement des supplétifs a eu lieu essentiellement dans les masses paysannes écrasées de misère. Une misère produite par 130 années d’oppression coloniale et accentuée par la guerre (bombardement des villages, déplacement massif de population, etc.). Dès lors, la misère a souvent constitué la motivation principale de leur engagement (et non pas un amour patriotique pour la France).
Les violences souvent aveugles exercées par certains moudjahidines ont aussi poussé des familles de paysans dans les bras des Français. Mais les harkis ne sont pas les seuls à avoir porté l’uniforme français. J’ai été moi-même surpris, au cours de mon enquête, de réaliser que 50% des jeunes Algériens avaient répondu à l’appel du service militaire. Il faut comprendre qu’à cette époque, il n’existait pas de conscience nationale algérienne. Pour la plupart des «musulmans» d’Algérie, l’Etat, c’était la France. Et lorsque la France donnait des ordres, on y obéissait, c’était «normal».
Que sont devenus ces harkis restés en Algérie et leurs enfants?
Il y a de nombreux cas de figure, qu’il est impossible de résumer en quelques phrases. Dans mon livre, je retrace le parcours de vie d’une cinquantaine de témoins, que j’ai retrouvés dans toutes les régions d’Algérie. Chaque vieux monsieur possède son histoire propre. Mais disons que certains ont subi des violences, puis repris leur vie de paysans pauvres. Sauf que par rapport aux autres, ils ont fait l’objet d’une relégation sociale qui les a maintenus, et qui les maintient toujours, eux et leurs enfants, dans une situation sociale et économique très difficile.
Comprenez-vous que ce sujet soit encore très sensible en France et en Algérie?
Oui, j’en ai bien conscience. En France, le discours sur les harkis est le plus souvent instrumentalisé par les héritiers des ultras de l’Algérie française pour continuer un combat qu’ils refusent toujours d’avoir perdu. En Algérie, l’idée (fausse) des harkis comme ayant été très peu nombreux constitue un des piliers du discours officiel sur la guerre de Libération. Vous retirez ce pilier, c’est tout l’édifice qui s’écroule…
(Le dernier tabou, les «harkis» restés en Algérie après l’indépendance, Pierre Daum, Actes Sud, 2015)
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