Lotfi Double Kanon et Rachid Nekkaz: le rappeur et le politique dans un clip
Ils sont très populaires, rencontrent un grand succès et jouissent tous les deux d’une réputation sulfureuse. Le premier est rappeur, le second vise la présidence algérienne. Ils viennent de créer le buzz en interprétant ensemble une chanson à charge contre le régime.
Chassé-croisé. Lotfi Double Kanon a quitté son Algérie natale pour, selon lui, pouvoir continuer à chanter ses textes enflammés tandis que Rachid Nekkaz a quitté la France qui l’a vu naître – et où il était candidat aux primaires PS pour l’Elysée –, pour se présenter à la succession d’Abdelaziz Bouteflika. Le rappeur a installé son studio en banlieue parisienne, le politique s’est fixé à Chlef, à 200 km à l’ouest d’Alger. Le premier est révolté par «la censure qui sévit en Algérie», le second par «la corruption de la classe politique française». Les deux décident d’interpréter ensemble une chanson, Tais-toi ! (Matahdarch, «ne parle pas») pour dénoncer l’indifférence et le manque de liberté d’expression en Algérie.
Des millions, des millions !
Lotfi Double Kanon est l’artiste algérien le plus suivi sur Internet avec ses 3.200.000 amis sur Facebook. Chacun de ses commentaires, même les plus anodins, est commenté par des milliers de personnes. Son dernier clip avec Rachid Nekkaz en guest star a été visionné 300.000 fois sur Youtube en quelques heures avant que la plateforme de partage ne le supprime pour une sombre histoire d’usurpation d’identité. Rachid Nekkaz, licencié en philosophie de La Sorbonne, devenu millionnaire grâce à l’immobilier et aux nouvelles technologies, bouleverse la communication politique dans son pays. Aucun homme ou femme politique algérien n’avait chanté auparavant.
Gaz de schiste, liberté d’expression et niqab
Que chantent-ils ? Matahdarch est un coup de gueule, un cri de rage. Le rappeur s’étonne du caractère amorphe de ses concitoyens qu’il attribue à la répression policière, pénale et médiatique des autorités. «La différence entre la personne qui s’exprime et celle qui se tait est comparable à celle entre une personne vivante et une personne morte. Les personnes qui se taisent ressemblent à des corps cadavériques.»
Rachid Nekkaz, lui, critique «les imperfections de la démocratie». «Ce n’est pas une chanson pour danser mais pour la liberté d’expression. Les jeunes Algériens se reconnaissent en Lotfi Double Kanon. Nous nous sommes rencontrés en France, il m'a fait de la peine lorsque j'ai constaté que nous avions fait un chemin inverse. Lui quittant l'Algérie pour préserver sa liberté d'expression, et moi ayant vécu toute ma vie en France et partant en Algérie pour donner sens à mon combat politique», témoigne le candidat malheureux à la présidentielle qui avait rendu son passeport français.
Au nombre des indignations des deux hommes, la loi sur le niqab en France. «Au nom de la liberté», l’artiste dénonce et le politique paie. L’homme d'affaires qui se dit «contre le niqab, mais pour la liberté de circuler avec» aurait déjà réglé les amendes de 877 femmes en France, pour un montant 198.000 euros, et 123 amendes en Belgique. Leur promesse à tous les deux : ils ne se tairont jamais !
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