Emmanuel Macron en Algérie : quels sont les enjeux de cette visite ?
Pour sa visite officielle de trois jours en Algérie à partir de jeudi 25 août, le programme d'Emmanuel Macron s'annonce très chargé.
Question mémorielle, guerre en Ukraine et gaz algérien, visas, sécurité au Sahel... et sortir des brouilles du premier quinquennat : la visite à venir ce jeudi d'Emmanuel Macron en Algérie est lourde d'enjeux.
Question mémorielle
Emmanuel Macron, premier président français né après la guerre d'Algérie (1954-1962), n'a eu de cesse, depuis son élection en 2017, de tenter de normaliser les relations entre les deux peuples. Encore candidat, il avait frappé les esprits en qualifiant la colonisation de "crime contre l'humanité", et a multiplié depuis les gestes mémoriels. Mais l'Algérie n'a pas embrayé sur ce travail de mémoire et a déploré que le président français n'exprime pas de "repentance" pour les 132 ans de colonisation française. Après des mois de tensions, Emmanuel Macron a reproché au pouvoir algérien d'exploiter la "rente mémorielle" de la guerre d'indépendance pour entretenir sa légitimité et s'est interrogé sur l'existence d'une nation algérienne avant la colonisation.
"Depuis la première visite, en 1975, d'un locataire de l'Élysée, en l'occurrence feu Giscard d'Estaing, il n'y a jamais eu de longue période de stabilité dans ces relations agitées. Macron n'échappera pas à la règle : il tentera de recoller les morceaux, comme les autres. Tâche difficile cette fois-ci après ses réflexions pas du tout amicales et même franchement hostiles à notre pays", juge Le Soir d'Algérie. Cette question pèse lourd aussi en politique intérieure des deux côtés de la Méditerranée. Sept millions de Français sont liés d'une manière ou d'une autre à l'Algérie.
Le gaz, atout majeur de l'Algérie
Depuis le début de la guerre en Ukraine, l'Algérie, un des dix premiers producteurs mondiaux de gaz, est devenu un interlocuteur très convoité par des Européens soucieux de réduire leur dépendance au gaz russe. "Le président français va certainement demander à l'Algérie de faire un effort pour essayer d'accroître ses productions de gaz", anticipe l'économiste algérien Abderahmane Mebtoul à l'AFP. Selon lui, "si les Français en veulent plus, il faut qu'ils investissent" dans l'industrie gazière et les énergies renouvelables en Algérie. L'Algérie est devenue ces derniers mois le premier fournisseur en gaz de l'Italie, via le gazoduc Transmed qui passe par la Tunisie. "Alors que l’Algérie a fortement renforcé son approvisionnement vers l’Italie, la France semble vouloir vérifier qu’elle aussi pourra compter sur l’Algérie si elle doit être privée du gaz russe", note TSA.
Relancer les échanges économiques
La France est à la peine économiquement en Algérie où, avec environ 10% des parts de marché, elle est désormais supplantée par la Chine (16%), premier fournisseur du pays. Suez a perdu la gestion des eaux d'Alger, la RATP celle du métro et Aéroports de Paris celle de l'aéroport de la capitale. L'usine du groupe automobile Renault est aussi entravée par des quotas étatiques de pièces importées. "Il y a beaucoup de possibilités mais il faut que la France change de logiciel. La France a beaucoup perdu en Afrique", relève l'économiste Abderahmane Mebtoul.
Le dossier des visas
Paris a réduit de 50% le nombre de visas accordés à l'Algérie, comme au Maroc, pour mettre la pression sur des gouvernements jugés trop peu coopératifs dans la réadmission de leurs ressortissants expulsés de France. "La réduction du nombre de visas a des effets importants en Algérie. Cela crée une pression sur le pouvoir algérien", souligne à l'AFP Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie.
Les deux capitales veulent "avancer" sur ce sujet, relève toutefois l'Élysée, en soulignant que depuis mars 2022, les autorités algériennes ont délivré "300 laissez-passer (pour des retours), contre 17 sur la même période en 2021 et 91 en 2020". Les deux parties auraient trouvé des accords sur ce dossier des visas. "Ça va beaucoup mieux, y compris sur la question des réadmissions. Il faut poursuivre et amplifier cette dynamique positive", affirme Maghreb émergent qui cite une source diplomatique.
Maroc et Sahara Occidental
La visite du président Macron risque de susciter des crispations, sinon des critiques au Maroc, grand rival régional de l'Algérie et dont les relations avec Paris se sont refroidies. "Il y a toujours une compétition entre l'Algérie et le Maroc.[Avec cette visite], l'Algérie veut marquer des points", estime Xavier Driencourt. A l'inverse, Rabat attend de la France qu'elle manifeste plus "clairement" son soutien au plan d'autonomie marocain pour régler le conflit du Sahara occidental. L'Algérie, qui soutient les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, a de son côté rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc en août 2021.
Enjeux régionaux
"Le président Macron sait que sans la collaboration d'Alger, il est très difficile d'enregistrer la moindre percée dans les dossiers du Sahel et la Libye", relève Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève. L'Algérie revendique un rôle important au Mali, dont l'armée française vient de se retirer, et entretient "d'excellentes relations" avec la junte militaire au pouvoir à Bamako, poursuit l'expert, en notant aussi les "relations importantes" d'Alger avec Niamey et d'autres capitales africaines. L'Algérie, qui partage avec son voisin du sud quelque 1400 km de frontières, a pris une part active à l'accord de paix signé en 2015 avec la rébellion indépendantiste pour mettre fin à la guerre au Mali bien que son application reste aléatoire.
Droits de l'Homme
Les ONG dénoncent le tour de vis du régime, qui a étouffé le mouvement de contestation populaire du Hirak à l'origine de la chute du président Abdelaziz Bouteflika en 2019. Une douzaine d'organisations de la diaspora algérienne ont exhorté Emmanuel Macron à "ne pas occulter" le sujet des droits et libertés lors de sa visite. Malgré des libérations ces derniers mois, environ 250 personnes sont encore détenues dans des prisons algériennes pour des délits d'opinion, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD).
Comme contre-feu, des associations algériennes, proches du pouvoir, appellent "le Président de la République française à mettre un terme aux associations intruses, activant sous le couvert de la démocratie, la défense des droits de l’homme et la liberté d’expression, en profitant de leur présence en France pour diffuser un discours de haine, de violence, et d’incitation au terrorisme parmi les Algériens et les institutions de l’Etat (...)".
Les deux pays sauront-ils surmonter leurs différends ? Pour le quotidien L'Expression, "2022 est politiquement particulière. Emmanuel Macron entame son 2e et dernier mandat. Il a les moyens politiques pour prendre un pari gagnant sur l'avenir".
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