Election présidentielle en Algérie : comment Abdelmadjid Tebboune a éteint la contestation pour s’assurer une nouvelle victoire

Depuis son arrivée au pouvoir en 2019, le président sortant n'a pas hésité à brimer ses opposants et à restreindre la liberté de la presse. Favori de la présidentielle de samedi, il a toutes les chances de rester au pouvoir.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Abdelmadjid Tebboune à Alger (Algérie), le 3 septembre 2024. (TEBBOUNE CAMPAIGN PRESS SERVICE HANDOUT / MAXPPP)

Un scrutin joué d'avance. En Algérie, environ 24 millions d'électeurs sont appelés à voter, samedi 7 septembre, pour une présidentielle sans véritable enjeu. Le chef de l'Etat sortant, Abdelmadjid Tebboune, est en effet considéré comme largement favori à sa propre succession. Âgé de 78 ans, il est soutenu par quatre formations de premier plan qui ont scellé une alliance, parmi lesquelles l'ancien parti unique FLN (Front de libération nationale) et le mouvement islamiste El Bina. Face à lui, deux adversaires dans l'ombre.

Alors qu'une période de silence électoral est observée depuis mardi, franceinfo revient sur la répression organisée par le chef de l'Etat depuis le début de sa présidence en 2019, jusqu'à arriver à cette élection sans aucun suspense.

Des opposants emprisonnés

L'ancien préfet avait été élu en décembre 2019, au beau milieu du mouvement prodémocratie Hirak, lors d'un scrutin largement boudé par 60% des électeurs. Abdelmadjid Tebboune a d'abord cherché à surmonter l'hostilité de ces protestataires parvenus à chasser du pouvoir, aidés de la puissante armée, son prédécesseur Abdelaziz Bouteflika, après vingt ans de règne. Il a notamment gracié des dizaines de détenus d'opinion. Mais rapidement, le Hirak s'est éteint, surtout sous l'effet des interdictions de rassemblement liées au Covid-19.

Depuis, les militants prodémocratie sont sévèrement réprimés par le pouvoir. Des figures de la contestation ont parfois dû s'exiler, tandis que d'autres ont été condamnées. Les tensions ont été particulièrement vives lors des dernières législatives, en 2021. Une semaine avant le scrutin, le Comité national pour la libération des détenus avait estimé que 214 personnes étaient en détention pour leurs opinions ou parce qu'elles avaient participé à des manifestations. Les arrestations de trois figures du Hirak (l'opposant Karim Tabbou, Ihsane El Kadi, directeur d'une radio proche de la contestation et le journaliste indépendant Khaled Drareni) avaient aussi déclenché un tollé international. 

A quelques jours du scrutin présidentiel, les ONG alertent sur le fait que cette répression est toujours active. Amnesty International a accusé le pouvoir algérien de continuer d'"étouffer l'espace civique en maintenant une répression sévère des droits humains", avec de "nouvelles arrestations arbitraires" et "une approche de tolérance zéro à l'égard des opinions dissidentes" dans "un climat de peur". Selon les organisations des droits humains, des dizaines d'opposants sont toujours derrière les barreaux.

Une communication maîtrisée

Pour asseoir son pouvoir, Abdelmadjid Tebboune mise aussi sur le verrouillage de la presse. "Les autorités continuent de réprimer les journalistes en recourant à la détention et aux poursuites arbitraires, à des restrictions arbitraires de leur droit de circuler librement et en infligeant des sanctions infondées aux médias", rapporte Amnesty International. Dans un rapport sur la situation des droits humains en Algérie, Human Rights Watch souligne que les autorités ont adopté, au printemps 2023, "une nouvelle législation qui renforce le contrôle des autorités sur les médias".

Dans une volonté d'adoucir son image et de se rapprocher de la population, l'actuel président algérien est très actif sur TikTok, postant des vidéos de lui en train de jouer au football ou des plans sur son visage avec une mélodie séduisante. De quoi lui donner le surnom de "Tonton Tebboune" sur les réseaux sociaux. Pendant la campagne, il n'a également pas hésité à revêtir une tenue traditionnelle des Touaregs, lors d'une visite dans l'extrême-sud algérien.

Abdelmadjid Tebboune juge que son premier quinquennat a été amputé de deux ans, à cause de "la guerre contre le Covid-19" et de "la corruption" de son prédécesseur. Il entend parachever son projet d"'Algérie nouvelle". Il promet de nouvelles revalorisations des salaires et des retraites, ainsi que des investissements pour créer des emplois et faire de l'Algérie "la deuxième économie en Afrique", derrière l'Afrique du Sud.

Le taux de participation comme inconnue

En face, ses rivaux ont aussi axé leurs discours sur les questions socio-économiques, jurant d'améliorer le pouvoir d'achat et de redresser l'économie. Ils promettent aussi davantage de libertés s'ils sont élus. Mais ils font office de figurants dans cette campagne. "L'autorité électorale a fait son travail de tri en amont afin d'écarter toute personne susceptible de faire de l'ombre à Abdelmadjid Tebboune durant la campagne", explique à Libération Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen.

Ils seront quand même deux à faire acte de candidature. D'un côté, Abdelaali Hassani, ingénieur des travaux publics de 57 ans, président du principal parti islamiste MSP (Mouvement de la société pour la paix). De l'autre, Youcef Aouchiche, ancien journaliste et sénateur de 41 ans, chef du FFS (Front des forces socialistes), un parti d'opposition historique qui boycottait les élections depuis 1999.

La seule inconnue de ce scrutin présidentiel réside dans le taux de participation. Le média d'opposition Le Matin d'Algérie résume l'état d'esprit des électeurs qui espèrent du changement : "Devant la terreur imposée par le pouvoir, la révolte par le silence reste la seule option des Algériens".

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