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Années 90 : l'arrivée du djihad en France

Aujourd'hui, des Français partent faire le djihad à l’étranger, en Syrie ou en Irak. Mais 20 ans avant Mohamed Merah et Mehdi Nemmouche, d'autres Français posaient des bombes et tiraient sur les forces de l'ordre. Retour sur l'arrivée du terrorisme islamiste en France dans les années 90.
Article rédigé par zacharie boubli
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Khaled Kelkal, membre du Groupe Islamique Armé et responsable de plusieurs attentats ayant fait 8 morts et 200 blessés, est abattu le 29 Septembre 1995 par la gendarmerie, au terme d'une traque de plusieurs semaines. (CréditAFP FILES/M6 / AFP)

Les quelque 1000 Français partis faire le djihad en Syrie font craindre une vague d’attentats : des jeunes aguerris et fanatisés revenus du Moyen-Orient passeraient de la guerre au terrorisme. Ce danger prendrait la forme de «loups solitaires» tirant dans la rue ou posant des bombes. Le danger est réel et d’autant plus terrifiant qu’il fait écho à des évènements pas si lointains.
 
En Bosnie, importations de moudjahidin et ch’tis d’Allah
En 1992 éclate la guerre de Bosnie, suite à la proclamation de l'indépendance de cette ex-République yougoslave. Les Bosniaques, à majorité musulmane, sont sous-armés et sous-encadrés face aux armées et milices serbes et croates. Environ 5000 djihadistes, certains issus du jeune mouvement al-Qaïda, viendront à leur secours. Ben Laden en personne s’y rendra. Regroupés dans la Brigade des moudjahidin, ils seront parmi les meilleurs combattants du camp bosniaque.
 
Basée à Zenica, la Brigade se taille rapidement une réputation de violence et d’intransigeance religieuse. Les musulmans que les djihadistes sont venus défendre ne sont pas épargnés : des Bosniaques sont maltraités ou tués car l’islam traditionnel des Balkans a peu à voir avec le rigorisme salafiste. Le sort des civils des zones conquises par Daech ou Jabhat al-Nosra n'est guère différent.

Les prisonniers de guerre serbes, pourtant issus d'armées pratiquant l’épuration ethnique et le massacre de civils, sont horrifiés par la violence des moudjahidin. Les captifs sont mutilés ou torturés avant de finir décapités.
 


Une poignée de Français combattent en Bosnie. Revenus en France, certains restent liés et forment le Gang de Roubaix. Mené par le médecin converti Christophe Caze, le gang entreprend de financer le djihad par des braquages. Mais la bande semble trop habituée à la violence guerrière : ils s’avèrent incapables de la moindre discrétion, tirant à vue sur des gendarmes à l’arme de guerre. Ils emploient même un lance-roquettes contre un convoi de fonds... qui s'avère vide. Facilement identifié, le gang ne dure pas trois mois. La moitié se font brûler vifs sous les yeux de la police, d’autres sont abattus en cavale, le reste part en prison.

L'arsenal du Gang de Roubaix comprend grenades, fusils d'assaut, fusils à pompe et lance-roquettes. Ce qui ne les empêcha pas de se réveler de très mauvais braqueurs.  (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

L’Algérie : exportations de terroristes et stratégie de la tension
Les premières élections libres de l’histoire algérienne voient le Front Islamique du Salut (FIS) triompher au premier tour en décembre 1991. Le mois suivant, l’armée démet le gouvernement et annule les élections pendant que le FIS prend les armes. Commence une décennie de guerre civile où s’affrontent l’armée régulière, l’Armée Islamique du Salut, le Groupe Islamique Armée (GIA) puis le Groupement Salafiste pour la Prédication et le Combat (devenu Aqmi en 2007). Entre 60.000 et 150.000 personnes sont tuées. Comme aujourd’hui en Syrie, les factions islamistes n’arrivent pas à s’entendre et se font la guerre tandis que la répression de l'armée régulière tourne très vite à la guerre sale. 
 
La France soutient le camp laïc et le paie cher. A la Noël 1994, un commando du GIA détourne un avion d’Air France. Trois otages seront exécutés, un Algérien, un Vietnamien et un Français, mais le pire est évité : plusieurs éléments laissent à penser que l’avion était destiné à s’écraser sur la Tour Eiffel ou la Tour Montparnasse. 

Le cockpit de l'avion détourné après l'intervention du GIGN. Un gendarme sera blessé lors de l'assaut mais seuls les 4 terroristes y laisseront la vie. (GEORGES GOBET / AFP)

Puis, entre juillet et septembre 1995, une série d’attentats secoue la France, faisant 8 morts et plus de 200 blessés. Grâce à plusieurs coups de chance, la plupart des bombes n’explosent pas. A Villeurbanne, une voiture piégée placée devant une école explose quelques minutes avant la sortie de centaines d’enfants.
 
On découvre rapidement que ces attentats sont l’œuvre d’une cellule du GIA opérant en France. Parmi ses membres, figure Khaled Kelkal, un Franco-Algérien de la région lyonnaise qui finira abattu par la gendarmerie. La France découvre à cette occasion le Plan Vigipirate.
 
Une question reste sans réponse : le GIA est-il un authentique mouvement islamiste ou une créature des militaires algériens ? Une thèse revient souvent : au moment du putsch de janvier 1992, les embryons des GIA étaient déjà noyautés par les services secrets algériens. Ils les auraient poussés à la violence aveugle pour décrédibiliser les islamistes et justifier le coup d’Etat militaire. Dans cette optique, les attentats de 1995 devaient faire taire les critiques françaises contre les militaires algériens.
                                 
Qu’en apprendre et que craindre ?
Les déboires du Gang de Roubaix et les nombreux attentats ratés du GIA montrent que commettre un attentat est moins facile qu’il n’y paraît. L’opération requiert des compétences spécifiques appartenant plus à l’espionnage qu'à la guerre. La territorialisation du djihad que signe le déclin d’al-Qaïda au profit de Daech facilite la surveillance de filières orientées vers l’Irak et la Syrie. Les réseaux organisés autour d’émirs recruteurs et les candidats au départ n’ont guère intérêt à attirer l’attention… pour l’instant. Car ces agents discrets pourraient bien être un jour «activés» et mener des attaques de grande ampleur. Cela supposerait probablement un changement de la situation au Moyen-Orient, puisque les efforts de Daech sont concentrés sur la consolidation du fief du groupe Etat Islamique.
 
La menace se situe aujourd’hui plutôt du côté de terroristes spontanés. Plus difficiles à repérer avant le passage à l’acte. Les loups solitaires disposent également de beaucoup moins de ressources pour agir et fuir. Ce qui, parfois, ne les rend que plus dangereux.
 
A cet égard, il est instructif de comparer Mohamed Merah à Khaled Kelkal. Merah est lié aux réseaux al-Qaïda et issu d’une famille gravement dysfonctionnelle où délinquance et islam radical sont présents dès l’enfance, mais c’est un solitaire incapable de fonctionner en équipe ou d'obéir à une discipline. Kelkal fait partie d’une structure hiérarchisée inscrite dans un contexte national précis. Enfant souriant et doué, fils d'OS, rien dans son passé ne laissait prévoir un tel déchaînement de violence.
 
Au-delà du poids des idéologies et des structures du terrorisme islamique, on voit aussi tout le poids des circonstances. Le désarroi économique de la France ne s'est guère amélioré par rapport aux années 1994-1996 alors que la problématique de l'islam radical a pris une importance sans précédent.

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