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Le viol, mal endémique en Afrique du Sud

Le viol collectif, le 2 février 2013, d’une adolescente de 17 ans a choqué l’Afrique du Sud, pays qui affiche l’un des plus fort taux au monde dans ce domaine. Un pays où la violence sexuelle est profondément ancrée dans une société restée très patriarcale.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Manifestation contre le viol près du Parlement sud-africain au Cap le 11 février 2013. Le mot anglais «rape», en rouge sur les pancartes, signifie «viol». (AFP - RODGER BOSCH)

Anene Booysen a été violée en sortant d’un pub à Bredasdorp (sud-ouest) par un groupe d’hommes auquel appartenait son ex-petit ami, selon l’accusation. Elle a été laissée éventrée, éviscerée, la gorge tranchée par un tesson de bouteilles. Un fait-divers presque «ordinaire», pour reprendre le terme de Kathleen Day, directrice de Rape Crisis in Cape Town, une association luttant contre ce type de crime. Ordinaire. Et sordide. En la matière, on pourrait citer d’autres cas récents, comme ceux d’une «gogo» (grand-mère) de 98 ans et d’un enfant de deux ans, victimes eux aussi d’abus sexuels.
 
Officiellement, on compte 60.000 viols par an pour une population de 50 millions d’habitants. En fait, les agressions de ce type seraient dix fois plus nombreuses : les victimes, qui connaissent souvent leurs agresseurs, ne portent pas facilement plainte. 40 % des femmes subissent des violences sexuelles au cours de leur vie, estiment les spécialistes. Il y aurait ainsi un viol toutes les 26 secondes, selon une estimation de Médecins sans Frontières, chiffre que ne l’on trouve d’habitude que dans les pays en guerre ! «En moyenne, une Sud-Africaine a plus de chances de se faire violer que de terminer ses études secondaires», rapporte le magazine américain Time.

Le viol et le meurtre d'Anene Booysen choque les Sud-Africains

Al Jazeera, 9 février 2013
 
Le drame d’Anene Booysen a fait couler beaucoup d’encre. Le président Jacob Zuma a ainsi condamné un crime «choquant, cruel et inhumain». Mais comme à chaque fois, le soufflé médiatique est vite retombé. Et l’évènement a vite été éclipsé par l’affaire du champion handisport Oscar Pistorius, accusé du meurtre de sa petite amie…

Un pays progressiste sur le papier
«Les Sud-Africains seront-ils un jour vraiment choqués par le phénomène du viol ?», se demandait dans son article sur Bredasdorp le correspondant en Afrique de la BBC, Andrew Harding. «Le viol fait partie de notre culture. Il est partie intégrante de notre culture patriarcale», a expliqué au journaliste Andy Kawa une militante des droits de la femme, elle-même victime d’abus sexuels. Une culture machiste « profondément ancrée » dans la mentalité du pays. «Nombre de Sud-Africains sont victimes de leur histoire et de la situation économique. Le chômage et l’abus de drogues conduisent à une léthargie toxique sur fond de culture sociale donnant le droit aux hommes de disposer du corps des femmes», écrit le journaliste Stephen Grootes dans Business Day.

Selon une étude menée par le South Africa's Medical Research Council, 25 % des 1738 hommes interrogés ont admis avoir commis une agression sexuelle. Le phénomène n’est pas uniquement l’apanage des pauvres. Il est également commis par des Blancs comme des Noirs, «qui ont un certain niveau d’éducation et de revenus». Il est facilité par un «système judiciaire criminel surchargé» et un «faible taux de condamnations», générant ainsi l’impunité chez les agresseurs.

Des Sud-Africaines défilant contre les agressions sexuelles et pour le droit des femmes à porter des mini-jupes à Johannesburg le 4 mars 2008.  (AFP - PABALLO THEKISO)

Pourtant, sur le papier, l’Afrique du Sud se veut une nation progressiste et tolérante: elle a été la première à légaliser le mariage homosexuel et son parlement compte l’un des plus fort taux au monde de femmes députées.

Face au tollé qu’a soulevé l’affaire de Bredasdorp, le président Jacob Zuma a lancé en personne une campagne intitulée «Stop aux viols» qui vise les 10 millions d’enfants des écoles. Ceux-ci devront notamment prêter serment et s'engager à «ne pas commettre de viol ni aucune forme de harcèlement sexuel, d'abus ou de violence» ainsi qu'à signaler une agression dont ils sont témoins. Un tract leur explique par ailleurs que «porter une mini-jupe, aller en boîte de nuit ou au ‘shebeen’ (les bars des townships, NDLR), sortir tard le soir ou flirter ne sont pas des crimes et ne signifient pas qu'on est d'accord pour avoir des relations sexuelles, ou qu'on mérite d'être violé».

Reste que Jacob Zuma n’est peut-être pas le meilleur des avocats pour cette cause. Car en 2006, il a lui-même été jugé pour le viol d’une amie de sa famille séropositive. Avant d’être acquitté trois ans plus tard. Devant la cour, il avait déclaré que la victime était habillée de manière provocante et que la culture zoulou (l’ethnie du président sud-africain) interdisait qu’un homme laisse insatisfaite une femme en mal de relations sexuelles. On peut donc émettre quelques doutes sur la réelle volonté politique du président sud-africain de combattre énergiquement un tel fléau social…

Le viol «curatif» contre les homosexuelles

UNWomen, 26-11-2012

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