L'apartheid vaincu par Mandela: un système influencé par l'idéologie nazie
Le terme «apartheid», qui vient de la langue afrikaans (idiome néerlandophone parlé par les premiers colons blancs du pays), signifie «séparation». La politique de ségrégation a été systématisée après les élections de 1948 et la victoire du Parti national. Mais elle était de fait déjà en vigueur depuis plusieurs siècles.
Le début de la présence européenne dans le pays remonte à 1652. Le Hollandais Jan Van Reibeek installe alors à Table Bay, aujourd’hui un quartier du Cap, un comptoir pour servir d’escale aux navires de la Compagnie hollandaise des Indes orientales. Les premiers colons s’efforcent déjà de séparer leur établissement de la population noire, en plantant une haie d’amandiers…
Deux décennies plus tard, 200 huguenots français, chassés de l’Hexagone par la révocation de l’édit de Nantes (1685), se réfugient en Afrique du Sud. Une arrivée qui coïncide avec le début de l’esclavage des Noirs.
Les Noirs étrangers dans leur propre pays
Au XIXe siècle, les colons néerlandais (les Boers: paysans en néerlandais), mélangés aux descendants des huguenots, rentrent en concurrence avec les Britanniques installés au Cap depuis 1814. «Ils leur reprochent une politique jugée trop favorable aux Noirs, notamment à la suite de l'abolition de l'esclavage par la Grande-Bretagne en 1833», raconte l’encyclopédie Larousse.
L’année suivante, les fermiers néerlandais commencent à émigrer vers l’intérieur du pays. «Ils chargent cet exode d'une forte signification biblique, affirmant être les nouveaux Hébreux, le peuple élu en route pour la Terre promise», poursuit l’encyclopédie. «Ce sentiment d'élection divine marque durablement la population huguenote franco-hollandaise et détermine pour une bonne part l'évolution historique ultérieure de cette partie du monde».
Quoi qu’il en soit, les Noirs, appelés parfois Hottentots (mot emprunté au néerlandais signifiant «bégayeur» à cause de l’étrangeté de leur langue aux yeux des Blancs), deviennent des étrangers dans leur propre pays. Dès 1797, ils sont contraints de se munir d’un permis spécial pour se déplacer. Et dès sa fondation en 1886, une ville comme Johannesburg relègue les habitants de couleur, dont ceux d’origine indienne, dans des quartiers périphériques. Gandhi, qui a passé plus de 20 ans en Afrique du Sud, en a fait l’expérience : lors de son arrivée en 1893, il est expulsé d’un wagon de première classe.
Au début du XXe, toute une série de lois vient renforcer la ségrégation : interdiction aux Noirs d’acheter la terre sauf dans des réserves pauvres et étriquées, interdiction de pratiquer certaines professions…
«Assurer la sécurité de la race blanche»
Mais l’idéologie de l’apartheid est institutionnalisée après l’arrivée au pouvoir du Parti national en 1948. Son dirigeant, le pasteur Daniël Malan, 74 ans, attribue alors sa victoire à la divine Providence. Il entend vouloir «assurer la sécurité de la race blanche et de la civilisation chrétienne par le maintien honnête des principes de l'apartheid».
Ouvertement raciste, son mouvement veut protéger les intérêts afrikaners face à un «péril noir». Lequel est rapidement amalgamé au «péril rouge» (communiste) dans le contexte de la Guerre froide. Ce qui vaudra au pouvoir sud-africain la sympathie de l’Occident.
L'Afrique du Sud sous l'apartheid
Tout un arsenal législatif est mis en place par les nouveaux dirigeants influencés par l’idéologie nazie et convaincus d’être élus de Dieu.
La population est classée selon quatre couleurs de peau dans un Population Registration Act: Blancs, Indiens (Asians), métis (Coloured) et Noirs. Ce qui détermine ainsi l’existence entière des individus de chaque groupe, du berceau à la tombe. Une existence déterminée jusque dans la chambre à coucher.
Un Immorality Act (1949) interdit les relations sexuelles et les mariages interraciaux. En 1950, une loi sur l’habitat (Group Areas Act) institutionnalise la ségrégation spatiale. Dans les centres des villes, des quartiers entiers, comme Sophiatown à Johannesburg ou District Six au Cap, sont rasés. Les zones ainsi dégagées sont réservées aux descendants des Européens. Expulsées de force, quelque 3,5 millions de personnes appartenant aux populations de couleur sont reléguées le plus loin possible dans des townships, cités dortoirs sans âme. Leurs maisons, leurs fermes, sont attribuées aux Blancs.
En 1953, un Separate Amenities Act vient compléter cette sinistre panoplie. Blancs et non-Blancs sont séparés jusque dans les lieux et les transports publics. Des bancs sont ainsi réservés pour chaque catégorie.
Des «pays indépendants» dans le pays
Au final, les Noirs sont regroupés en fonction de leurs origines et de leurs langues dans des bantoustans «destinés à devenir ‘‘des pays indépendants’’», rapporte Le Monde. «Résultat : un grand pays riche et prospère peuplé de Blancs sud-africains accueillant un grand nombre de travailleurs noirs immigrés, citoyens» de ces bantoustans «très pauvres (…) ; ces derniers produisant les richesses dont les premiers profitent.»
En permanence, les Noirs doivent porter sur eux un «pass» prouvant qu’ils ont bien un emploi en zone blanche. Et ils n’ont droit qu’à une éducation sommaire, jugée suffisante pour les emplois qualifiés auxquels ils pouvaient prétendre.
Pour autant, les autorités blanches n’ont jamais pu aller au bout de leur logique, celle de se débarrasser complètement des Noirs : ils dépendaient en effet de cette main d’œuvre bon marché, taillable et corvéable à merci.
La ségrégation reste présente dans les têtes
L’apartheid est définitivement démantelée en 1994, après les élections multiraciales et l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela.
Et aujourd’hui ? La communauté blanche représente 9 % des 52 millions de Sud-Africains. A la fin des années 90, 20% d’entre eux ont quitté le pays, redoutant un désastre. «Mais les deux décennies qui ont suivi n’ont pas été aussi mauvaises que ce que l’on pouvait craindre», observe The Economist dans un remarquable papier sur la situation actuelle du pays.
Pour autant, l’apartheid est encore présent dans les têtes. Les communautés vivent globalement en paix et «se mélangent facilement dans la rue», rapporte l’hebdomadaire britannique.. «Mais la séparation raciale restent la norme» et les individus «peinent encore à former une nation arc-en-ciel», Il faudra sans doute encore du temps, beaucoup de temps pour changer les mentalités. Et effacer les stigmates du passé.
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