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Progression des talibans : les Afghans partagés entre espoir et "extrême inquiétude", selon un journaliste sur place

Romain Mielcarek a interrogé des Afghans, alors que les talibans ont conquis la plupart des grandes villes du pays ces derniers jours.

Article rédigé par franceinfo
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Un drapeau taliban est hissé dans la ville de Pul-e-Khumri, en Afghanistan, le 11 août 2021. (AFP)

"Le plus probable, c'est que les talibans assiègent Kaboul, qu'ils l'encerclent et qu'ils patientent jusqu'à ce que le gouvernement finisse par accepter de partir", a estimé Romain Mielcarek, journaliste indépendant basé à Kaboul, en Afghanistan, sur franceinfo samedi 14 août. Romain Mielcarek, spécialisé dans les questions de défense et de relations internationales, a recueilli des témoignages dans les zones déjà passées sous contrôle taliban, soit l'essentiel du nord, de l'ouest et du sud de l'Afghanistan.

franceinfo : Craignez-vous que les talibans tentent de faire tomber Kaboul par la force ?

Romain Mielcarek : Kaboul est une ville extrêmement sécurisée, il y a beaucoup de forces militaires, de forces de police. Il est difficile de dire si les talibans vont tenter la prise par la force de la ville, mais ce serait extrêmement compliqué et surtout cela causerait beaucoup de pertes humaines. Le plus probable, c'est que les talibans assiègent Kaboul, qu'ils l'encerclent et qu'ils patientent jusqu'à ce que le gouvernement finisse par accepter de partir. Pour eux, militairement, ce serait difficile de prendre la ville, car les civils auraient beaucoup de victimes. La ville est très grande et la population est énorme.

Cela rendrait la relation avec la communauté internationale encore plus difficile pour les talibans, alors que ce n'est déjà pas évident. La campagne des talibans a un objectif, c'est de les mettre dans une position de force la plus avantageuse possible pour être les plus crédibles dans les négociations avec l'ensemble des acteurs politiques afghans et internationaux. Vous ne négociez pas de la même manière quand vous contrôlez quelques campagnes et quand vous contrôlez quasiment tout le pays.

Vous recueillez des témoignages d'Afghans qui se trouvent dans des zones sous contrôle taliban, que vous racontent-ils ?

Vous avez d'un côté des gens qui sont soulagés. L'arrivée des talibans, pour eux, cela veut dire la fin des combats et potentiellement la reprise d'une activité normale. Et puis vous avez aussi beaucoup de gens qui sont victimes de pillages, de violences, parfois jusqu'à l'assassinat, et qui sont extrêmement inquiets de leur avenir. Ils sont nombreux à chercher un moyen de fuir, mais pour les populations les plus modestes, celles qui n'ont pas d'argent et pas de contact avec l'étranger, c'est quasiment impossible.

J'ai aussi des témoignages concernant un retour d'autorité envers les femmes, qu'on obligerait à rester chez elles, à porter la burqa de manière systématique, à ne pas sortir de chez elles sans accompagnateur. Il y a des cas où l'on m'évoque des mariages forcés. Ce qui est compliqué, c'est que c'est en contradiction avec ce qu'annoncent les leaders talibans, qui promettent de respecter un certain nombre de libertés et de protéger les gens. Sur le terrain, vous avez des chefs locaux qui sont plus ou moins cohérents avec les décisions de leur hiérarchie et qui n'ont pas toujours les mêmes valeurs.

Quel est le sort réservé aux soldats loyalistes afghans qui se rendent ou se font capturer ?

C'est difficile à savoir, car nous n'avons pas les moyens d'aller vérifier sur place ce qu'il se passe réellement, mais il semblerait que la majorité des soldats soient bien accueillis quand ils se rendent. Globalement, les talibans évitent de commettre des massacres, mais il y a eu une multitude de cas où des prisonniers ont été assassinés, exécutés sans autre forme de procès. Alors, souvent dans ces cas-là, les talibans le justifient en disant que ces mêmes soldats avaient par le passé commis eux-mêmes des actes répréhensifs, des abus en s'attaquant à des talibans blessés. Mais encore une fois, c'est difficile à vérifier et ce qui est certain, c'est que la justice est extrêmement expéditive du côté des talibans.

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