Afghanistan : "Les tractations" avec les talibans "pourraient apparaître comme une forme de reconnaissance pragmatique" du régime, analyse un journaliste
Des négociations sont en cours avec les talibans pour la création d'une zone protégée autour de l'aéroport de Kaboul. "Une étape sur la route d'une reconnaissance" des talibans, selon Vincent Hugeux.
Pour Vincent Hugeux, journaliste, enseignant à Sciences Po, invité de franceinfo dimanche 29 août, "les tractations" avec les talibans "pourraient apparaître comme une forme de reconnaissance pragmatique" du nouveau régime en Afghanistan. Emmanuel Macron plaide pour la création d’une zone protégée autour de l’aéroport de Kaboul, afin de prolonger les opérations humanitaires au-delà du 31 août. L'idée serait de constituer à Kaboul une sorte de plateforme permettant le départ des quelques milliers d'Afghans encore éligibles à une évacuation vers les pays européens. "Cela suppose évidemment, d'une manière ou d'une autre, des compromis, des tractations avec le pouvoir taliban", dit-il.
franceinfo : Une zone protégée à Kaboul pourrait fonctionner sans soldats occidentaux sur place ?
Vincent Hugeux : À condition de répondre à au moins quatre questions. D'abord, quel sera le périmètre exact de cette zone réputée sûre ? Ensuite, qui aura vocation à l'administrer ? Les étrangers, les Occidentaux seuls, ou eux et les talibans qui détiennent le pouvoir de facto en Afghanistan ? Quelles sanctions au cas où cette zone sûre serait violée par quelques acteurs que ce soit ? Et puis quatrième critère, cela suppose évidemment, d'une manière ou d'une autre, des compromis, des tractations avec le pouvoir taliban. On connaît le dogme français, "on reconnaît des Etats et pas des régimes". Mais il va de soi que les tractations en question pourraient apparaître comme une forme de reconnaissance pragmatique de facto, et peut-être dans l'esprit des stratèges talibans une étape sur la route d'une reconnaissance, cette fois-ci en bonne et due forme, qui n'est pas à l'agenda à ce stade.
Les Occidentaux se mettent-ils à genoux devant les talibans ?
Les diplomates qui ont à leur disposition toute une série de phrases à tiroirs ou de formules magiques vous diraient "discuter n'est pas reconnaître".
"L'un des objectifs des talibans aujourd'hui, c'est de montrer qu'ils sont autre chose qu'une force guerrière capable de faire plier l'hyperpuissance américaine."
Vincent Hugeux, enseignant à Sciences Poà franceinfo
Dans un communiqué, qui était tout à fait contemporain à la chute de Kaboul, l'un de leurs animateurs les plus radicaux, Haqqani, disait : "À nous de montrer que nous pouvons passer d'une logique de guerre à une logique de gestion civile d'un Etat". Pour ce faire, il faut effectivement des fonctionnaires, des ingénieurs, des techniciens. Pour faire fonctionner une tour de contrôle, il faut effectivement des experts en la matière.
Vous croyez que les talibans ont vraiment changé ?
Tous les analystes s'accordent. Ce qui a changé, c'est très clairement une sophistication de leur communication. Ils ont appris d'ailleurs, comme les mouvances jihadistes l'ont fait, à manier et à manipuler les réseaux sociaux, les sites internet, etc.
"Il n'y a pas de modification profonde de leur objectif à moyen et long terme, à savoir s'agissant des talibans, l'instauration dans les frontières de l'Afghanistan d'un émirat islamique."
Vincent Hugeux, enseignant à Sciences Poà franceinfo
D'ailleurs, là encore, quand vous regardez un peu les déclarations de leurs cadres depuis une dizaine de jours, ils vous disent 'nous avons mûri, nous avons gagné en maturité, en expérience'. Mais s'agissant de la doctrine et des objectifs, rien n'a bougé.
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