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Abbas Bendali : «Al-Jazeera zappée par les Maghrébins de France»
La chaîne qatarie Al-Jazeera est de moins en moins regardée par la communauté maghrébine de France. L’érosion de son audience serait due aux désillusions qui ont suivi les Printemps arabes. Abbas Bendali, directeur du cabinet d'études ethniques Solis, a scruté de près le comportement d’audience des 24 principales chaînes du Maghreb et du Moyen-Orient reçues en France.
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Selon votre dernière enquête Horizons Médias 2016 sur l’audience des médias maghrébins et arabes en France, la chaîne qatarie Al-Jazeera perd son leadership. Comment êtes-vous arrivé à cette conclusion ?
Dès 2007, nous avons lancé Horizons Médias, une enquête récurrente sur les comportements d’audience des Maghrébins de France. Nous nous sommes intéressés tout particulièrement aux chaînes du Maghreb et du Moyen-Orient, à leurs mode de réception (ADSL, fibre, câble, parabole…), les moments d’écoute, les genres de programmes regardés, etc. Les deux premières enquêtes, réalisées en 2007 puis en 2009, étaient limitées à la région Ile-de-France qui concentre une grande partie de la communauté maghrébine.
En 2011, en plus de l’Ile-de-France, nous avons accru la taille de l’échantillon à plus de 1000 personnes et étendu le champ de l’étude aux régions Rhône-Alpes et PACA. L’enquête a été reconduite cette année, dans les mêmes conditions. C’est ce qui nous permet de constater le recul d’audience d’Al-Jazeera qui perd aujourd’hui son leadership au profit de Canal Algérie et de la chaîne marocaine 2M.
Comment expliquez-vous la défiance des Français d'origine maghrébine vis-à-vis d'Al-Jazeera ?
Je ne sais pas si l’on peut parler de défiance à l’égard de cette chaîne comme seul élément explicatif à ce recul. Sur la base de l’historique de ses audiences sur la région Île-de-France depuis 2007, on note que la baisse a été entamée dès 2011. Elle est consécutive aux évènements que l’on a qualifiés de «printemps arabe». A l’époque, ces évènements avaient été largement couverts par la chaîne qatarie. On sait aujourd’hui toutes les déceptions qui s’en sont suivies avec probablement comme conséquence, pour une partie de l’auditoire, un «repli nationaliste» sur les chaînes des pays d’origine : comme Canal Algérie pour les Algériens, 2M pour les Marocains ou encore Al Wataniya pour les Tunisiens. Il convient de rappeler également que l’offre de chaînes a considérablement évolué au cours de ces dernières années avec par exemple la diffusion de France 24 en langue arabe depuis 2009 sur l’ADSL ou encore le lancement de la chaîne algérienne Ennahar TV depuis 2012, qui sont venus concurrencer Al-Jazeera sur le traitement de l’information internationale.
La «consommation» de ces chaînes a-t-elle augmenté ? Y-a-t-il un profil type du téléspectateur ?
La pénétration de ces chaînes est stable à 72% bien que leur diffusion ait singulièrement augmenté avec le développement de l’ADSL et la «mise au rebut» de l’antique parabole. En revanche, on note des gains d’audience pour certaines chaînes. Ainsi Nessma TV ou MBC séduisent de plus en plus un public de tous les horizons du Maghreb. Il convient de souligner également l’émergence d’une chaîne à vocation religieuse comme Iqraa qui a également trouvé son auditoire. Le socle d’audience des chaînes maghrébines et moyen-orientales repose sur la première génération de migrants, jeunes et moins jeunes, pour qui ces chaînes restent une «petite lucarne» ouverte sur le pays et la culture d’origine. Les enfants de migrants, la deuxième génération, sont moins attirés par ces chaînes que leurs aînés mais elles réalisent des audiences non négligeables.
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