: Infographies Crise de l'eau à Mayotte : quelles sont les différentes causes de la pénurie qui frappe le département ?
"De l'eau potable et gratuite pour tout le monde". La revendication émane de l'intersyndicale de Mayotte, qui a déposé un préavis de grève illimitée à partir de lundi 9 octobre pour dénoncer les conditions de vie extrêmement difficiles dans le 101e département français. Depuis le mois de mai, les habitants de Mayotte vivent au rythme des coupures d'eau potable afin d'en limiter la consommation. Ces restrictions n'ont cessé d'être durcies ces dernières semaines, atteignant des niveaux jamais atteints. Actuellement, les coupures peuvent durer jusqu'à 48 heures d'affilée, selon les secteurs. Pour apaiser la situation, la Première ministre, Elisabeth Borne, a annoncé jeudi 5 octobre la prise en charge de toutes les factures d'eau entre octobre et décembre pour les habitants de l'île.
Livraisons d'eau potable depuis La Réunion et l'île Maurice, usine de dessalement provisoire mise en place par la Sécurité civile, prélèvement d'eau hors du réseau principal... D'autres mesures ont été instaurées dans l'urgence par les autorités pour tenter d'endiguer provisoirement la pénurie, en pompant le moins possible dans le réseau principal, particulièrement affaibli. Mais quelles sont les différentes causes de ce manque d'eau ? Franceinfo fait le point en quatre graphiques.
Une population qui a doublé en 25 ans, sans aménagement des infrastructures
Avant même cette pénurie historique, la ressource en eau était déjà devenue insuffisante sur l'île. "En temps normal, la production en eau potable s'élève à 38 000 m3 tandis que le besoin journalier du département est de 42 000 m3", explique Gilles Cantal, le préfet chargé de mission pour gérer cette crise, à franceinfo.
Car Mayotte est aussi le territoire français qui connaît le plus fort essor démographique, comme le montre le graphique qui suit. L'Insee a recensé une augmentation de la population de 3,8% par an en moyenne entre 2012 et 2017, contre 0,3% pour l'ensemble du territoire français (entre 2014 et 2020). Cette croissance constitue "le premier défi auquel est confronté l'archipel", affirmait la Cour des comptes dans un rapport de juin 2022 (en PDF). Donnée qui illustre ce défi démographique : le nombre d'habitants est passé de 131 320 en 1997 à près de 300 000 aujourd'hui. Et le rapport précise que ce chiffre serait même "fortement sous-estimé".
Comment expliquer une telle hausse sur cette île de 395 km2 ? Le premier facteur concerne la fécondité. En 2021, la moyenne était de 4,39 enfants par femme, contre 1,8 pour l'Hexagone, selon la même source. Ce qui en fait le département le plus fécond de France. A cela, s'ajoute une importante immigration légale (123 000 étrangers recensés en 2017) et illégale (non recensée et ciblée depuis fin avril dans le cadre de l'opération Wuambushu). La Cour des comptes relaie ainsi une estimation de l'Insee, qui évalue que la population mahoraise sera comprise entre 530 000 et 760 000 personnes en 2050, selon l'évolution des flux migratoires.
Des déboisements illégaux difficilement contrôlables
La pression démographique et la recherche de nouvelles terres cultivables entraînent depuis les années 1980 une augmentation de la déforestation sur l'île. Selon une étude de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) datant de 2020, Mayotte a connu un taux de déforestation annuel de 1,2% entre 2011 et 2016, similaire à celui de l'Argentine ou de l'Indonésie. L'agroforesterie (aussi appelée "jardin mahorais"), qui désigne un mode d'exploitation durable ressemblant à un patchwork de cultures locales de litchis, d'ylangs-ylangs ou de cocotiers et qui favorise l'infiltration d'eau dans les sols, disparaît ainsi au profit des monocultures de manioc et de bananes.
"Ce type de plantations est très productive : en une année, on a déjà une récolte, ce qui permet de nourrir rapidement la population, explique Grégoire Savourey, chargé de mission à l'UICN. Mais c'est une catastrophe écologique, car la monoculture est très agressive pour le sol, qui devient extrêmement dur. Elle nécessite l'abattage de tous les arbres et favorise le ruissellement vers le lagon".
Un grand nombre de ces monocultures sont d'ailleurs illégales. "Les habitants ont faim, ils vont dans la forêt et pensent que l'espace leur appartient, mais ce n'est pas le cas", décrit Dominique Paget, directeur de l'Office national des forêts (ONF) de Mayotte. Pour lutter contre ces plantations non autorisées, les opérations de destruction se multiplient. "Avec l'aide des forces de l'ordre, on en réalise en moyenne 30 par an et on reboise l'équivalent. Mais l'implantation de ces cultures va de plus en plus vite et il devient difficile pour nous de maîtriser la pression", s'inquiète-t-il. Une soixantaine d'agents veillent sur la forêt mahoraise. Un nombre insuffisant, selon lui, face à la recrudescence des déboisements sauvages.
Or, les espaces boisés sont essentiels pour le bon fonctionnement du cycle hydrologique et pour permettre à la population d'accéder à l'eau potable. "Les arbres interceptent l'eau de pluie qui s'infiltre dans le sol par les racines. Cela facilite le rechargement des nappes phréatiques profondes et des rivières", détaille Dominique Paget. Autre utilité : les forêts favorisent la formation de nuages et donc de précipitations. Une étude de l'ONF parue en 2020 met en avant le lien entre la forêt et la présence d'eau sur l'île. Une augmentation de 10% de la surface boisée sur le territoire engendre une hausse moyenne de 1,13 million de m3 de la quantité d'eau dans les rivières en saison sèche.
Un déficit pluviométrique de 24% par rapport à la moyenne
Mayotte dépend principalement de la pluie pour s'approvisionner en eau potable. "Les prises d'eau de surface essentiellement situées dans la partie nord de l'île représentent 79% des ressources d'eau destinées à la production d'eau potable. Seulement 21% proviennent des forages", explique le Comité de l'eau et de la biodiversité de Mayotte. Or, la saison des pluies 2022-2023 a été particulièrement tardive, "avec un déficit pluviométrique de 24% par rapport à la normale, ce qui en fait la plus sèche enregistrée depuis 1997", précise Météo-France. Dans le détail, il a plu 600 mm à Pamandzi (Petite-Terre) et, au plus haut, 916 mm à Combani (centre de la Grande-Terre) entre janvier et juin. A la même période en 2022, il avait déjà plu au minimum 900 mm à Pamandzi et au maximum 1 300 mm sur la zone de Combani.
La sécheresse exceptionnelle à Mayotte est aggravée par le réchauffement climatique, qui raccourcit la saison des pluies (de six mois à environ trois mois) et diminue son intensité. Selon le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage), pour la période 2022-2027, "un rétrécissement de la période de recharge, concentrée désormais sur janvier, février et mars, est observé par Météo-France depuis 1961 et corrobore le ressenti d'un retard de plus en plus marqué de l'entrée en saison des pluies et d'une avance de la saison sèche".
Conséquence : les deux retenues collinaires situées à Combani, au centre de l'île, et à Dzoumogné, au Nord, sont quasi-vides. Il s'agit d'ouvrages artificiels souvent situés au pied d'une colline, qui permettent de stocker l'eau de surface qui ruisselle. Elles représentent 80% de la ressource de l'île. Le principe est de les remplir l'hiver et au printemps, afin qu'elles soient pleines au moment des forts besoins hydriques l'été. Le déficit pluviométrique de cette année n'a pas permis cette recharge. Au 2 octobre, comme le montre le graphique qui suit, elles étaient remplies à respectivement 15% et 7%, selon la préfecture.
Les nappes phréatiques "sont, elles aussi, à un niveau historiquement bas, notamment au Nord, où la pluviométrie a été moins importante", ajoute Anaïs L'Hôtelier, hydrologue au BRGM, qui assure le suivi en eau souterraine. Pour autant, jusqu'à présent, les forages pour puiser de l'eau potable n'ont pas montré de défaillance. "Mais il faut impérativement tenir compte du niveau d'eau, selon le préfet en charge de la crise. Car puiser trop la ressource peut avoir un effet très néfaste à moyen terme". Pour éviter de trop assécher les nappes et augmenter la capacité de production de l'eau, "vingt nouveaux forages ont été lancés depuis septembre", détaille Gilles Cantal.
Un réseau de distribution particulièrement fragile
A Mayotte, 25% de l'eau s'échappe en temps normal du réseau d'eau de 760 kilomètres, à cause des fuites. "En ce moment, on est plus sur 35%", détaille Gilles Cantal. Cela représente 15 000 m3 d'eau par jour, soit l'équivalent de six piscines olympiques de deux mètres de profondeur. "Ces fuites sont dues à l'usure et au manque d'entretien du réseau par la Smae", ajoute-t-il. La Société mahoraise des eaux a déjà été fortement critiquée par la Cour des comptes en 2020 (en PDF). L'institution dénonçait la gestion de ce syndicat et ses dépenses, avec pour effet collatéral d'affaiblir le système de distribution des eaux.
Ce réseau est aussi inégalement réparti sur le territoire mahorais. La partie nord de Mayotte concentre à la fois l'essentiel de la population et des besoins (environ 70%), et la quasi-totalité des ressources exploitées (99%). Pour autant, "le risque de coupure définitive de l'eau a été écarté grâce aux nombreuses mesures prises", selon Gilles Cantal.
Mais une autre menace pèse : le risque bactériologique. "Quand on a de l'eau en distribution normale, le réseau est sous pression, donc il n'y a pas d'infiltration extérieure. Avec les coupures, il n'est plus sous pression pendant parfois plus de 48 heures et il y a un fort risque d'infiltration d'eau potentiellement contaminée dans le réseau", explique à franceinfo Olivier Brahic, directeur de l'ARS Mayotte. Plusieurs analyses de non-conformité ont ainsi été détectées par l'ARS ces dernières semaines, notamment à Mamoudzou, la capitale mahoraise. Pour protéger la population, l'ARS a notamment augmenté la chloration de l'eau, qui permet de la désinfecter. Il a aussi été demandé à la population de faire bouillir l'eau destinée à la consommation humaine.
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