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Réchauffement climatique, urbanisation, alertes météo... On répond à cinq questions qui se posent après les inondations dans l'Aude

Les intempéries ont causé la mort de 13 habitants de l'Aude, lundi, selon un bilan provisoire établi mardi soir. Pendant que le département panse ses plaies, des questions émergent sur les alertes à la population et les zones où les habitations sont construites.

Article rédigé par Camille Caldini, Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
A Trèbes (Aude), une voiture est noyée dans une rue inondée, dans les intempéries du 15 octobre 2018. (SYLVAIN THOMAS / AFP)

Treize morts, des routes explosées, un pont détruit, des maisons sinistrées… L'ampleur des dégâts causés par les inondations dans l'Aude, lundi 15 octobre, soulève de nombreuses interrogations. Défaillance du système d'alerte ? Problème d'urbanisation ? Réchauffement climatique ? Franceinfo s'est penché sur les questions qui se posent après les constats de désolation laissés par les pluies diluviennes et les crues des cours d'eau du département, notamment dans les communes de Trèbes et Villegailhenc.

1 Y a-t-il eu une défaillance des alertes météo ?

Dimanche soir, le département de l'Aude était placé en alerte orange. Quelques heures plus tard, une fulgurante montée des eaux dévastait la région de Carcassonne. La vigilance n'est passée au rouge qu'à 6 heures du matin, lundi. Certains habitants estiment avoir été mal informés de l'intensité à venir des orages nocturnes. "J'aimerais bien savoir quelle radio il fallait écouter pour avoir des consignes !", s'est ainsi ému un habitant du village de Villegailhenc, violemment frappé par les inondations.

Interrogé par LCI, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Frédéric de Lanouvelle, a évoqué, lundi, "une fragilité" dans le système de vigilance de Météo France. Il ne s'agit pas, selon lui, d'une "incompétence" de l'agence météorologique. Toutefois, il souligne un "vrai problème". "La vigilance orange est très souvent utilisée et quand il y a un vrai problème, les gens n'en tiennent plus compte", analyse-t-il. Mais, comme l'a souligné Edouard Philippe, lundi à Villegailhenc, le problème réside aussi dans la transmission de l'information au milieu de la nuit. "Quand on met des zones en vigilance orange, tout le monde ne se dit pas 'ça va passer en rouge'. Et quand ça passe en rouge dans le milieu de la nuit parce qu'on se rend compte que le phénomène devient plus intense, c'est compliqué d'être, non pas réactif – car les secours ont été réactifs –, mais de faire passer l'information à 2 heures du matin", a estimé le Premier ministre face à un habitant de Villegailhenc qui se plaignait de n'avoir eu aucune information durant la nuit à la radio.

D'autant que l'"on anticipe très bien l'arrivée du phénomène, mais on a du mal à prévoir son intensité", reconnaît Pierre Huat, prévisionniste chez Meteogroupe, contacté par franceinfo. Et ce phénomène météo a justement eu un comportement exceptionnel. "La dépression ne bougeait pas et un anticyclone présent sur l'Europe centrale a bloqué son avancée", explique-t-il.

2Cet épisode est-il lié à l'ouragan Leslie ?

L'ouragan Leslie, qui errait sur l'océan Atlantique depuis le 23 septembre, s'est transformé en tempête post-tropicale en arrivant sur les côtes portugaises, très tôt dimanche matin. Une grande partie du pays avait été placée en alerte rouge et dans la matinée, la tempête a frappé le Portugal, avec des vents dépassant les 100 km/h, arrachant des arbres et privant temporairement d'électricité des centaines de milliers de personnes, avant d'atteindre le nord de l'Espagne.

Mais le lien direct entre Leslie et les inondations de l'Aude n'est pas évident. Jérôme Lecou, prévisionniste chez Météo France, estimait ainsi dimanche sur franceinfo que la tempête s'était "déstructurée", "dissipée", et que Leslie n'existait "plus en tant que telle". En revanche, "la dépression qui est associée a continué son chemin", rapporte-t-il. Mais "ce n'est pas du tout la même chose". Il s'agit d'un "épisode méditerranéen lié à la dépression qui se positionne progressivement vers le golfe du Lion avec des pluies orageuses classiques d'automne, liées aux flux marins méditerranéens", souligne le spécialiste. 

Marc Pontaud, directeur de recherche chez Météo France juge de son côté que les violents orages et graves inondations dans l'Aude ont découlé de la combinaison de deux phénomènes : un "front nuageux" arrivé par la Bretagne et la tempête "Leslie qui a interagi avec cette longue bande nuageuse", en s'enfonçant dans la Méditerranée. Résultat, "au lieu de s'évacuer très rapidement, la zone de précipitation a stationné quelques heures, en particulier au-dessus du département de l'Aude".

3Y avait-il trop de constructions en zones inondables ?

La question se pose à chaque fois que des inondations frappent des zones habitées : l'urbanisation est-elle en cause ? En France, plus de 17 millions de résidents sont exposés aux inondations par débordements de cours d'eau et 1,4 million de personnes sont exposées, sur le littoral, au risque de submersion marine, selon les données du ministère de la Transition écologique

Qu'en est-il dans l'Aude ? Inauguré l'été dernier, l'hôpital de Carcassonne, dont les sous-sols ont été inondés, a été bâti en zone inondable. Interrogé sur l'implantation de l'établissement, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a fait valoir que "malheureusement", ce type de construction repose sur "des plans et des décisions qui sont prises parfois dix à quinze ans à l'avance". "Je ne sais pas quelles étaient les normes à l'époque qui ont justifié que cet hôpital soit construit à cet endroit-là", a-t-elle assuré.

Au total, dans le département de l'Aude, "39% de la population et 51% des emplois sont en zone potentiellement inondable", selon la préfecture, et plusieurs territoires ont été identifiés comme "à risques d'inondations importants". Des programmes d'action de prévention des inondations (Papi) ont été instaurés. Un premier, entre 2006 et 2014, doté de 81 millions d'euros a entraîné la construction de digues et la restauration de certaines berges. Le nouveau Papi, qui court de 2015 à 2020, prévoit "29,2 millions d'euros pour les actions de prévention des inondations et 20 millions pour les programmes pluriannuels de gestion des bassins versants (PPGBV)".

A Trèbes et Villegailhenc, les communes les plus durement touchées, des plans de prévention du risque d'inondation (PPRI) ont été approuvés, selon la préfecture de l'Aude. Ces plans locaux ont pour objectif d'évaluer les risques et de proposer des aménagements techniques (des digues, par exemple) et juridiques (en déterminant les zones constructibles). Sur ces deux communes, pourtant, des lotissements, même récents, ont été érigés dans des zones inondables, selon le géographe Bruno Judde de Larivière. 

4Est-ce une conséquence du réchauffement climatique ?

Les scientifiques sont catégoriques. Les "épisodes méditerranéens" vont devenir non seulement plus fréquents, mais aussi plus intenses à cause du réchauffement climatique. Pis, cette évolution est déjà à l'œuvre depuis des décennies. Dans le sud de la France, l'intensité des précipitations extrêmes a augmenté de 22% entre 1961 et 2015, d'après les travaux des chercheurs du laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, cités par Le Monde. Et d'après leurs simulations, la probabilité de dépasser un épisode de précipitations extrêmes ne survenant qu'une fois tous les cent ans "a plus que doublé en raison des températures" en hausse.

Les "épisodes cévenols" se produisent en général à l'automne, quand la Méditerranée est la plus chaude. La chaleur de l'eau de mer favorise son évaporation. Des masses d'air chaud, humide et instable se forment et remontent vers le littoral, où elles se transforment en orages violents et pluies diluviennes, explique Météo France. Or, "plus l'air est chaud, plus il emmagasine de l'humidité", souligne dans Le Monde Yves Tramblay, hydrologue au laboratoire HydroSciences. Et "un 1°C en plus se traduit par 7% d’humidité supplémentaires".

En se basant sur les scénarios du groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (Giec), dont le plus optimiste table sur un réchauffement de plus de 1°C d’ici à 2050, les travaux d'Yves Tramblay concluent à "une intensification des pluies extrêmes". Celle-ci "varie entre 5% et 100% d’augmentation selon les bassins, mais se situe autour de 20% en moyenne d'ici à la fin de ce siècle et même au-delà dans le sud de la France, le nord de l'Italie et les Balkans".

Des tendances à long terme se dessinent sur le bassin méditerranéen avec le changement climatique, prévient Marc Pontaud, directeur de recherche chez Météo France contacté par l'AFP. Il y aura "des épisodes méditerranéens plus fréquents et potentiellement plus intenses à la fin du XXIe siècle". Mais ces "épisodes cévenols" ne doivent pas occulter l'autre conséquence locale du changement climatique : l'augmentation des périodes de sécheresse due à la "baisse des précipitations moyennes, visible à partir du milieu du XXIe siècle".

5Comment les sinistrés seront-ils indemnisés ?

Lundi, le Premier ministre, Edouard Philippe, a annoncé que le gouvernement allait mettre en œuvre une "procédure de catastrophe naturelle accélérée". Un arrêt va donc paraître prochainement au Journal officiel, reconnaissant l'état de catastrophe naturelle dans les communes sinistrées. Pour qu'une commune bénéficie de ce statut, le maire doit adresser une demande au préfet, qui la transmet à une délégation interministérielle. Au regard des dommages subis, cette dernière juge si cette commune peut être concernée.

Dès la parution de l'arrêté, les assurés de ces communes auront jusqu'à dix jours pour adresser leur déclaration de sinistre à leur assureur. Cette déclaration peut se faire par courrier, internet ou téléphone. Les assureurs recommandent de leur transmettre, dès que possible, une estimation des pertes, ainsi que les documents attestant de l'existence et de la valeur des biens détruits ou endommagés, comme une facture ou une photographie.

A compter de la remise de cette estimation des biens endommagés, les assureurs ont deux mois pour verser une première provision et trois mois pour indemniser intégralement les assurés. Concernant les dommages allant jusqu'à 500 ou 1 000 euros en fonction des assureurs, le sinistré peut demander une avance ou engager les dépenses et se faire rembourser ultérieurement. En cas d'indemnisation, une partie reste à la charge des sinistrés. L'assureur déduira une franchise, fixée par la loi, de 380 euros pour les biens à usage des particuliers et de 1 140 euros minimum pour les biens à usage professionnel.

La garantie "catastrophe naturelle" prévoit la prise en charge des dommages matériels causés aux seuls biens assurés. En France métropolitaine, elle couvre tous les périls sauf le vent, soumis à la garantie "tempête" qui n'a pas besoin de l'état de catastrophe naturelle pour être appliquée. Les inondations entrent toujours dans le cadre des catastrophes naturelles. Les véhicules assurés au tiers, c'est-à-dire uniquement en responsabilité civile, ne bénéficient pas de l'assurance catastrophe naturelle. Sont également exclus de la garantie les bateaux et les marchandises transportées, les dommages causés aux récoltes non engrangées, aux cultures, aux sols ou encore au bétail non enfermé.

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